"Limiter l'endettement à 30% du PIB en 2014". Le ministre des Finances Luc Frieden au sujet de l'économie luxembourgeoise et les discussions tripartites

L'Écho: Vous avez annoncé des mesures structurelles à la miavril. L'économie luxembourgeoise est pourtant une des plus solides de la zone euro. Vous avez-vous aussi besoin de mesures pour garantir l'avenir ?

Luc Frieden: La crise internationale a aussi frappé le Luxembourg. Nous connaissons depuis deux ans une situation déficitaire. A cela, il faut ajouter que nos recettes fiscales sont assez volatiles parce qu'elles sont pour une bonne partie liées aux activités financières internationales. Financer le déficit sur plusieurs années par un endettement ne peut donc pas être une voie à suivre. Nous avons vu dans certains autres pays européens, dont certains nous sont très proches, qu'une dette publique élevée signifie une charge d'intérêt élevée. Donc le gouvernement est d'avis qu'il faut réduire ce déficit à partir de 2011. Ce qui est conforme aux recommandations européennes.

L'Écho: Quelles sont les mesures que vous entendez prendre ?

Luc Frieden: Nous sommes en pleine discussion avec les partenaires sociaux. Nous estimons qu'il faut veiller à maintenir la compétitivité de l'économie luxembourgeoise qui est une économie très ouverte. On ne peut pas prendre trop de mesures au niveau de la fiscalité. Il faut se concentrer au niveau des dépenses.

D'un côté nous proposons l'augmentation de certains impôts, notamment l'augmentation de l'imposition maximale qui est aujourd'hui de 38% et qu'on va augmenter à 39% et l'augmentation de l'impôt de solidarité qui sert à financer les allocations de chômage ; de l'autre, nous envisageons la réduction d'un certain nombre de dépenses telles que le niveau des investissements pour les plafonner au niveau de 2009, la restructuration de certains transferts sociaux comme par exemple l'abolition d'un treizième mois d'allocations familiales - sachant que le niveau des prestations familiales est de toute façon plus élevé que dans les trois pays avoisinants -, enfin réduire certains frais de fonctionnement de l'Etat et certaines subventions payées par l'Etat. Il y aura donc un mélange de mesures pour montrer que c'est un effort collectif pour maintenir un Luxembourg avec des finances saines qui nous permet, à moyen terme, de garder un niveau fiscal raisonnable.

L'Écho: En septembre dernier, lors d'une précédente interview à «L'Echo», vous aviez déclaré qu'il n'y aurait « ni hausse ni baisse d'impôts pendant la crise ». Ca veut dire que la situation s'est aggravée ou que vous êtes sorti de la crise et préparez l'après-crise ?

Luc Frieden: Je crois qu'en 2011, nous serons sortis du pire de la crise. Il faudra encore gérer l'effet sur la situation de l'emploi, ce qui reste un problème, mais la situation de crise, telle que nous l'avons vécue de 2008 jusqu'au début de 2010 sera passée.

Nous pouvons donc désormais procéderàun certain nombre de ces mouvements mais nous veillerons à ce que l'économie ne soit pas impactée par des augmentations d'impôts. Celles-ci seront d'un niveau tel que ça n'aura aucun impact, ni sur la consommation ni sur l'investissement.

L'Écho: Il y a vraiment une volonté d'éviter l'endettement du pays ? Dans un récent discours, vous en faisiez une question de « sou veraineté ».

Luc Frieden: Oui, j'ai été frappé par les discussions au sein de l'Eurogroupe sur la Grèce qui montrent comment un pays peut perdre sa souveraineté si, en fonction de la situation des finances publiques, ce sont les autres pays qui imposent la fiscalité et les mesures de réduction des dépenses. C'est l'Eurogroupe qui a imposé un certain nombre de mesures à la Grèce et ce sera demain le FMI qui le fera s'il lui accorde des prêts. Le Luxembourg reste loin de la situation de la Grèce mais je souhaite quand même prendre des mesures dès aujourd'hui. Je considère qu'à l'horizon 2014, l'endettement ne doit pas être supérieur à 30% du PIB.

Ce qui est déjà beaucoup pour une petite économie. Un petit pays dispose de moins de marge de manœuvre pour faire évoluer la situation au moment où il en a besoin.

La dette d'aujourd'hui sont les impôts de demain et comme nous voulons toujours pouvoir attirer vers le Luxembourg des entreprises internationales, nous dépendons d'un niveau d'endettement raisonnable.

L'Écho: L'endettement se situe à quel niveau actuellement ?

Luc Frieden: Il est de 15%, ce qui est déjà beaucoup parce que dans ces 15% il y a aussi l'emprunt que nous avons lancé pour financer l'opération Fortis. Nous avons encore actuellement quelques réserves, mais lorsque celles-ci seront épuisées nous devrons comme les autres pays de la zone euro aller sur les marchés pour financer le déficit.

L'Écho: En 2009, vous avez surtout misésurles investissements publics pour maintenir l'activité à flots. Par quels moyens ?

Luc Frieden: Nous avons construit davantage sur 2009 et 2010. Notre programme de conjoncture est un peu limité dans la mesure où nous ne pouvons soutenir que le secteur de la construction. Le reste de l'économie dépend du commerce international. Mais dans le domaine de l'artisanat et de la construction, nous avons avancé la réalisation de projets qui étaient programmés et qui ont profité aux PME. Ca a permis de remplacer le manque d'investissements privés que ces secteurs ont ressenti pendant la crise.

L'Écho: Est-ce qu'à un moment, auplus fort de la crise, vous avez pensé qu'ilfaudrait changer le modèle luxembourgeois basé sur les banques et la finance par qui le problème est arrivé ?

Luc Frieden: Non, je crois que le monde a besoin d'activités financières et bancaires. L'économie réelle a besoin des banques et j'estime que, pour un petit pays, le secteur des services est le secteur le plus facile à développer. Donc changer de modèle, non, mais il fait toujours songer à diversifier l'économie luxembourgeoise et consolider, diversifier la place financière. L'un va en parallèle avec l'autre.

L'Écho: Le Luxembourg a une économie fortement ouverte vers les marchés extérieurs. Est-ce qu'en tant que voisin de l'Allemagne, vous avez souffert de sa politique de baisse des salaires pour se montrer plus compétitif à l'exportation ?

Luc Frieden: Oui, mais ce que j'observe c'est que l'économie allemande est extrêmement compétitive, que les salaires ont moins évolué que les salaires luxembourgeois par exemple. Quand un pays affiche une meilleure performance, il ne faut pas le critiquer mais essayer de faire aussi bien que lui. Pour nous, c'est une concurrence qu'il faut, dans la mesure du possible, essayer d'imiter.

L'Écho: Votre politique salariale va êtreunpeu adaptée à ce modèle ?

Luc Frieden: Nous ne pouvons pas ignorer le fait que l'Allemagne est notre principal partenaire commercial. C'est le marché sur lequel nos entreprises vendent des produits, nous devons donc tenir compte de la très bonne tenue de l'économie allemande en termes de compétitivité.

C'est d'ailleurs l'un des autres objectifs de la tripartite que nous sommes en train de mener avec les syndicats et le patronat.

L'Écho: Ca veut dire que le Luxembourg va devenir moins intéressant en termes de salaires pour les travailleur s frontaliers belges ?

Luc Frieden: Je pense que les niveaux en matière de rémunérations et de prestations sociales du Luxembourg resteront encore pour longtemps attrayantes pour les ressortissants des trois pays avoisinants. Nous sommes par ailleurs très reconnaissants que ces gens viennent travailler chez nous. Nous leur apportons beaucoup mais ils nous apportent aussi énormément, nous avons besoin de ces milliers de travailleurs venus de Belgique, de France et d'Allemagne pour faire fonctionner notre économie.

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