"Une nouvelle ambition pour la fiscalité en Europe": contribution écrite du ministre des Finances, Luc Frieden

Le 18 janvier 2010, une contribution écrite du ministre des Finances, Luc Frieden, a été publiée dans plusieurs journaux européens, à savoir dans Le Figaro, Financial Times Deutschland et Expansion.

Sous le titre "Une nouvelle ambition pour la fiscalité en Europe", Luc Frieden se prononce sur les débats actuels en matière de fiscalité des revenus de l'épargne ainsi que sur la lutte contre la fraude fiscale.

*****

Une nouvelle ambition pour la fiscalité en Europe

par Luc Frieden, ministre des Finances du Grand-Duché de Luxembourg

La crise économique et financière avec, comme conséquence, des déficits publics importants et inquiétants pour l’Union monétaire européenne, a relancé le débat sur la fiscalité en Europe. Cette semaine, nous, les ministres des Finances de l’Union européenne, discuterons à nouveau de la fiscalité des revenus de l’épargne et d’une lutte plus efficace contre la fraude fiscale. Européen convaincu, je souhaite un débat serein et objectif sur la meilleure façon de taxer les revenus dans une Europe où les transactions transfrontalières sont devenues quotidiennes.

J’observe avec regret qu’il n’y a guère, dans nos débats, de réflexion générale sur la fiscalité en Europe, sur la justice fiscale et sur l’efficacité de certains mécanismes, tels la retenue à la source applicable à certains produits financiers. Par ailleurs, outre un débat limité à la taxation de l’épargne, des termes imprécis et ambigus ont fait leur apparition, souvent sans que ceux qui utilisent ces termes sachent toujours les définir ou les confondent avec une concurrence fiscale saine. On fait l’amalgame entre paradis fiscaux et secret bancaire, entre transparence fiscale et justice fiscale. Mais ce qui frappe encore plus, c’est que parmi les solutions envisagées en Europe, rares sont celles qui tiennent compte du bon fonctionnement du marché unique des services financiers et du nécessaire renforcement des activités financières dans l’Union européenne.

La question qui se pose à nous, responsables des finances publiques en Europe, est de savoir comment faire profiter nos entreprises et nos citoyens du marché unique, source de prospérité et de développement économique, tout en assurant leur juste imposition. Il faut pour cela travailler sur plusieurs pistes et discuter notamment de l’instauration d’un impôt européen, d’une retenue à la source uniforme sur certains revenus, des minima en matière de fiscalité directe et indirecte, d’une certaine coordination en matière d’assiette et de concurrence fiscale saine, ainsi que des standards internationaux communs en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Alors que nos citoyens ont un lien direct avec leur budget national à travers leurs impôts et les dépenses de l’Etat qui concernent leur vie quotidienne, tel n’est nullement le cas pour le budget de l’Union européenne, qui lui aussi finance bon nombre de projets d’importance pour le public. Il serait donc utile de repenser le mode de financement du budget européen par une taxe européenne prélevée sur certains services ou produits et qui serait directement affectée au budget européen. Par la nature transfrontalière de certaines activités, une taxe écologique européenne, par exemple une taxe carbone, ou une taxe sur certaines transactions financières se prêterait particulièrement bien à cette fin.

Les services financiers doivent circuler comme tous les autres services dans l’Union européenne. Aujourd’hui, les produits financiers sont traités différemment et souvent de façon peu transparente pour le citoyen qui veut profiter du marché unique européen. Les taux appliqués varient. Par ailleurs beaucoup de pays européens ne pratiquent pas d’échange automatique des informations entre banques et administrations fiscales à l’intérieur de leur pays alors que ce système s’applique dès que le citoyen place son argent en dehors de son pays. L’Europe demande une solution plus efficace. C’est la raison pour laquelle je plaide pour une retenue à la source libératoire de vingt-cinq pour cent sur un large éventail de revenus, les sommes prélevées étant transférées en partie au pays d’origine du bénéficiaire des revenus.

L’Union économique et monétaire ne prévoit pas d’harmonisation fiscale, mais des critères communs quant aux objectifs en matière budgétaire, d’inflation et de dette publique. Chaque Etat est donc libre de fixer le niveau de ses impôts en fonction de ses besoins et de ses choix politiques. Evidemment, il faut s’entendre sur certaines règles en matière de concurrence fiscale saine. Dans ce contexte, il me semble judicieux d’établir davantage de taux minima (et pourquoi pas de taux maxima) en matière de fiscalité, comme nous l’avons fait avec succès en Europe en matière de TVA et d’accises. La fiscalité des entreprises et de certaines catégories de revenus tels les dividendes, les tantièmes ou les rémunérations exceptionnelles se prêtent à un tel type de taux minima, à condition qu’il y ait une volonté politique d’avancer en matière de fiscalité européenne.

Enfin, en matière de coopération dans la lutte contre la fraude fiscale, il faut des règles internationales uniformes pour assurer une taxation des revenus et éviter les délocalisations des capitaux. Le Luxembourg soutient l’application stricte et uniforme au niveau international des standards de l’OCDE en matière d’échange d’informations sur demande et a signé avec ses principaux partenaires économiques des traités bilatéraux mettant en œuvre les mécanismes souhaités par le G-20.

Ce mécanisme, comme le souligne d’ailleurs l’OCDE, n’est pas incompatible avec le secret bancaire tel que le Luxembourg l’applique comme protection nécessaire de la vie privée des citoyens. Il nous semble toutefois contre-productif, comme le souhaitent la Commission européenne et certains Etats, d’instaurer entre les Etats-membres de l’Union européenne un système d’échange d’informations spontané entre les banques et les administrations fiscales au niveau de l’Union européenne, alors que seul un échange sur demande dans des cas spécifiques serait appliqué par le reste du monde. Cela conduira à une délocalisation certaine de capitaux en dehors de l’Union européenne et la taxation recherchée des revenus deviendrait impossible.

Le Luxembourg, pays profondément attaché à l’idée européenne et l’un des principaux centres financiers en Europe qui se caractérise par la dimension internationale de ses produits et services financiers, jouera un rôle actif dans l’élaboration d’une stratégie fiscale européenne. Une renationalisation des marchés financiers affaiblira l’Europe face au monde et offrira moins de choix à nos citoyens. Cherchons la complémentarité, discutons de nos déficits publics, de la justice fiscale et de l’efficacité de nos systèmes fiscaux. Ensemble et non dans l’antagonisme.

Dernière mise à jour