Interview de Pierre Gramegna avec Le Quotidien

"Une réforme bénéfique pour tout le monde"

Interview: Le Quotidien (Claude Damiani)

Le Quotidien: La réforme fiscale a finalement été votée mercredi Il s'agissait d'une réforme phare annoncée dans le programme du gouvernement Bettel-Schneider... Êtes-vous désormais soulagé que le texte soit passé?

Pierre Gramegna: Cette réforme fiscale est une bonne nouvelle et sera bénéfique pour tout le monde. Elle allège les impôts tant pour les personnes physiques que pour les entreprises. J'ai constaté que même si nous n'avons obtenu le soutien que de la majorité gouvernementale, le principal parti d'opposition (CSV) soutenait la grande majorité des réductions d'impôt prévues dans cette réforme. Nous sommes d'ailleurs étonnés que le CSV n'ait pas soutenu ce projet de loi.

Le Quotidien: Pourquoi donc?

Pierre Gramegna: Le CSV a présenté, à la dernière minute, des amendements que nous n'avons pas pu retenir, aussi bien sur le fond que pour des raisons de timing. En effet, le CSV visait à réintroduire une certaine linéarité dans la réduction des impôts. Or le gouvernement a opté pour une approche privilégiant les crédits d'impôt, qui aboutit à une répartition plus juste. Ceci dit, tout le monde va ressentir les effets bénéfiques de cette réforme et de ces allègements fiscaux, à savoir l'augmentation du pouvoir d'achat, d'où une hausse de la consommation et, de surcroît, les effets bénéfiques sur la croissance. Cet effet positif impactera également les entreprises. J'insiste sur ce point. Les entreprises bénéficieront également des effets positifs des allègements fiscaux sur les personnes physiques'. Dans cette réforme, il y a une convergence des intérêts pour l'économie et le pays en général. Il y a un lien économique favorable. Les entreprises augmenteront leur chiffre d'affaires, pourront investir davantage et pourront engager plus de personnes.

Le Quotidien:
Avez-vous jugé constructives les critiques de l'opposition?

Pierre Gramegna: Ce n'est pas à moi de juger si l'attitude des différents partis est constructive ou non. Je pense que ce jugement appartient à l'électeur. Il y a des éléments qui ont été critiqués par des partis qui sont plus aux extrêmes de l'échiquier politique (NDLR : ADR et déi Lénk), en remettant notamment en cause le caractère social de cette réforme. Je dois dire que cette critique est totalement incompréhensible et infondée, parce que, dans le passé, il n'y a jamais eu de réforme qui ait été plus juste. Je mets cette réforme en perspective avec celles qui ont été réalisées au cours des vingt dernières années. Les plus grands bénéficiaires sont les bas salaires, qui en pourcentages en profitent le plus.

Contrairement à ce qui s'est passé au cours des réformes précédentes, les plus grands gagnants, en termes absolus, et en termes de pourcentage, ne sont pas les gros revenus, qui auront une "amélioration" de moins de 1%. Rien que ce chiffre in-Bique que la réforme est sociale.

Le Quotidien: Lors du débat en pléniêre, le député ADR Roy Reding vous a traité de "menteur" et d'"artiste" qui jonglerait avec les chiffres. Que lui répondez-vous?

Pierre Gramegna: Je pense que de telles remarques sont tout à fait indignes et je n'y réponds pas.

Le Quotidien: Quel sera finalement l'impact budgétaire de cette réforme?

Pierre Gramegna: Je ne peux que confirmer les chiffres avancés par l'administration fiscale et le ministère des Finances. Donc, 373 millions d'euros pour 2017 et 524 millions pour les années suivantes.

Le Quotidien: Au terme du débat, vous vous êtes félicité du fait que la réforme arrive au "bon moment". Pourquoi donc?

Pierre Gramegna: Le pays est aujourd'hui dans une situation bien plus favorable qu'il y a trois ans, où l'on risquait d'avoir un déficit d'un milliard tous les ans. C'est parce que le gouvernement a mené une gestion solide et responsable des finances publiques que l'on est maintenant en mesure de faire une réforme fiscale bénéfique pour tout le monde. Le pays se trouve actuellement dans un cycle vertueux, également au niveau de la croissance économique.

Le Quotidien: Ce bon timing n'a donc aucun lien avec les élections législatives de 2018?

Pierre Gramegna: Nous avons exécuté ce qui avait été annoncé dans le programme gouvernemental: assainir les finances publiques en premier lieu et alléger la fiscalité ensuite. Nous avons parfaitement respecté le calendrier prévu.

Le Quotidien: Pour être direct: allez-vous vous présenter aux élections de 2018?

Pierre Gramegna: Si le Parti démocratique (DP) me demande de me présenter et si le bilan de mon action est favorable, je me présenterai.

Le Quotidien: En ce qui concerne la question sensible des rulings, une récente étude de l'universitaire américain Omri Marian, qui a analysé 172 rescrits révélés en 2014, établit que 80 % d'entre eux violaient la législation luxembourgeoise en matière de sous -capitalisation. Maintenez-vous que ces pratiques étaient légales?

Pierre Gramegna: Je ne peux pas commenter cette étude, que je ne connais pas. Vu la complexité de la matière, il faudrait d'abord vérifier au cas par cas ce qu'elle avance et en faire une analyse sérieuse, mais je ne suis pas matériellement en mesure de le faire.

Le Quotidien: La défense de Raphaël Halet, l'un des lanceurs d'alerte poursuivis dans le procès Lux Leaks, plaide l'illégalité des rulings. Avez-vous une position sur ce sujet?

Pierre Gramegna: Il ne faut pas mélanger les, choses. Je ne vais pas commenter une procédure judiciaire en cours, puisque cela relève du troisième pouvoir et la justice doit faire son travail. S'il y a des institutions ou organisations indépendantes qui ont des opinions divergentes sur les rulings, c'est leur droit. J'ajoute que la Commission européenne elle-même a jugé dans un premier temps que pour Fiat, par exemple, les rulings accordés par le Luxembourg étaient, selon elle, non conformes à la législation. Nous avons fait appel de cette décision et nous attendons que la Cour de justice de I'UE rende sa décision.

Le Quotidien: L'une des questions qui ont surgi dans cette affaire est celle de la substance des entreprises et de leurs activités réelles au Luxembourg. Pour Amazon Europe Holding Technologies, il apparaît qu'en 2008 et en 2009 cette société avait réalisé quelque 500 millions d'euros de recettes avec zéro employé. Estimez-vous qu'elle avait une activité réelle au Luxembourg?

Pierre Gramegna: Je ne commenterai pas un cas particulier sur lequel la Commission est en train d'enquêter. Par ailleurs, Amazon emploie plus de 1 500 personnes au Luxembourg, donc je pense que la substance de cette société est patente.

Le Quotidien: Dans une étude parue lundi dernier, l'ONG Oxfam estime que la politique fiscale du Luxembourg est une des causes de la pauvreté dans le monde parce qu'elle prive des dizaines d'États de rentrées fiscales. Quel commentaire cela suscite-t-il chez vous?

Pierre Gramegna: Je ne commente aucune étude dont je ne connais ni les éléments ni la base sur laquelle elle a été faite. D'autant plus qu'elle ne vient que de paraître. Comment voulez-vous, dans ces circonstances, que je commente làdessus?

Le Quotidien: Entendu. Cela étant, les rulings sont un instrument devant permettre aux entreprises savoir une visibilité fiscale. Ce système n'a-t-il pas été dévoyé ou perverti en un instrument de minimisation fiscale?

Pierre Gramegna: L'OCDE, le G2O, la Commission européenne rappellent, de manière itérative, que les rulings sont indispensables pour organiser le commerce international et les relations des maisons mères avec leurs filiales. Je ne fais là que répéter ce que disent ces institutions. Nous l'avons toujours dit, nous avons besoin de ces instruments pour organiser le commerce international. Même la commission TAXE du Parlement européen a souligné cela, donc il n'y a pas de doute sur ce sujet. Maintenant, les modalités, le fonctionnement, les règles sous-jacentes, tout cela évolue et on s'y intéresse depuis quelques années à l'échelle internationale, et certaines choses qui étaient légales hier sont en train de ne plus l'être ou ne le sont déjà plus. Je prends l'exemple de la réforme de la directive mère-fille, qui rend certains mécanismes couverts par des rulings qui étaient tout à fait légaux dans le passé, illégaux aujourd'hui. Donc on voit qu'il y a une évolution. Que le Luxembourg soutient activement. Cela étant, j'estime que de vouloir s'acharner, en regardant avec les yeux d'aujourd'hui les règles du passé, pour dénigrer tout ce qui a été fait dans le passé, n'est pas correct! Il faut regarder les règles selon une concordance des temps.

Le Quotidien: Pour conclure, revenons au débat sur la réforme fiscale qui s'est tenu la semaine dernière au Parlement. Le chef de la fraction socialiste, Alex Bodry, a insisté sur la fin des politiques d'austérité. Dans ce cadre, quel regard portez-vous sur la Grèce, qui vient de voter des mesures sociales, avant de "se faire taper sur les doigts par la zone euro"?

Pierre Gramegna: Là, vous faites des raccourcis. On ne peut pas faire une affirmation générale et la ramener à un seul pays. La Commission européenne, dans les recommandations qu'elle fait aux différents États dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance (PSC), distingue chaque pays. Elle dit, entre autres, que l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg devraient avoir des politiques expansionnistes soutenues par l'investissement, parce qu'ils ont des marges de manoeuvre. C'est d'ailleurs ce que nous faisons au Luxembourg. Cela étant, la Commission ne va pas dans la même direction pour tous les pays, parce qu'il y a des pays qui ont des déficits excessifs et qui sont dans des phases extrêmement difficiles de leur économie.

La Grèce est dans une situation tout à fait particulière, car elle est "sous programme", dans le cadre du troisième paquet d'aide où elle reçoit 84 milliards de prêts d'aide de la part de I'UE de manière générale. Elle est donc soumise à des règles tout à fait particulières. Il faut regarder les mesures que doit prendre le gouvernement grec à la lumière des contraintes auxquelles le gouvernement grec a souscrit. Car pour obtenir ces 84 milliards d'aide, il a dû souscrire à toute une série de mesures qu'il s'est engagé à employer. Donc, si la Commission juge la Grèce à l'aune des engagements pris par le gouvernement grec, je crois que cela est important de comprendre qu'il y a des règles. Que tout le monde doit respecter. Des règles qui sont, heureusement, nuancées, et appliquées selon l'état de l'économie d'un pays, selon l'état des déficits, selon l'état de l'endettement.

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