Interview de Pierre Gramegna avec le Figaro

"Nous sommes en train de réinventer un cadre pour la fiscalité du XXIe siècle"

Interview: Le Figaro (Bertille Bayart et Manon Malhère)

Le Figaro: Pourquoi au Luxembourg, ce petit pays, la finance pèse-t-elle si lourd dans l'économie ?

Pierre Gramegna: Si importante soit -elle, la finance n'est pas toute l'économie du Luxembourg ! C'est un quart de notre PIB. Nous avons développé bien d'autres activités. Dans les hautes technologies, on peut citer par exemple SES, qui gère les satellites Astra et qui est un leader mondial de son secteur. Nous sommes aussi restés un pays d'acier: ArcelorMittal est le premier employeur au Luxembourg. Vous dites que nous sommes un "petit pays"?

Mais un pays fort, et cette force, c'est notamment celle de la finance. Nous en avons fait un domaine d'excellence. Cette spécialisation est dans la logique de la construction européenne. Certains ont fait le choix de construire des voitures, ou des avions. ,Nous, c'est la finance qui repose sur quatre piliers: la banque privée et la gestion de fortune, les fonds d'investissement - nous sommes la place numéro un en Europe et numéro deux dans le monde avec 3500 milliards d'euros d'actifs sous gestion administrés au Luxembourg - l'assurance et enfin la fintech (finance digitale).

Le Figaro: Comment avez-vous absorbé le choc de la fin du secret bancaire, début 2015?

Pierre Gramegna: Le secret bancaire était certes un facteur d'attractivité pour la banque privée, mais pas pour les autres métiers. Et les acteurs de notre place ont su anticiper ce changement, et s'adapter à cette nouvelle donne. Nous avons réussi à faire valoir nos atouts, et en particulier notre savoir-faire dans la gestion transnationale des fortunes. Depuis 2014, les avoirs gérés au Luxembourg sont de nouveau en croissance. Finalement, le fait d'être plus transparent, qui plus est en zone euro, se révèle être un avantage nouveau. Le secret bancaire était devenu un handicap pour notre réputation ces dernières années. Depuis deux ans, nous nous sommes montrés très déterminés à changer les choses. Nous avons pris le sujet à bras-lecorps, nous avons été vite, et cette politique a payé.

Le Figaro: Le Luxembourg figure cependant toujours sur la liste "grise" des paradis fiscaux établie par l'OCDE...

Pierre Gramegna: Le Forum mondial nous avait effectivement cités parmi les pays dits "non conformes". Mais depuis, le secret bancaire a été levé et nous avons profondément réformé notre système. Je suis donc convaincu que le Forum mondial de l'OCDE en tirera les conséquences, j'espère dans les prochaines semaines.

Le Figaro: Les rescrits fiscaux, qui ont fait scandale l'an dernier avec le "Lux Leaks", ont cependant très profondément affecté l'image de votre pays. Cette pratique reste pourtant en vigueur ?

Pierre Gramegna: Les "rescrits fiscaux" ne sont pas une spécialité luxembourgeoise ! Vingt-six pays européens sur vingt-huit y ont recours. Le problème ne peut pas être traité à l'échelle nationale, mais à l'échelle européenne, voire mondiale. Or, au début du mois, un accord est intervenu au niveau de l'OCDE, qui a été endossé par le G2O à Lima. Et juste avant, le Conseil de l'Union européenne est parvenu à un accord d'échange d'informations qui permettra à chaque État membre de savoir ce que fait l'autre. L'Europe a été pionnière, et cela s'est fait sous la présidence luxembourgeoise de l'Union.

Le Figaro: Était-ce important que cela ait lieu au cours de votre présidence de l'Union ?'Et cet accord, qui ne va pas jusqu'à nommer les entreprises avec lesquelles sont conclus des rescrits fiscaux, est-il suffisant ?

Pierre Gramegna: Le Luxembourg a joué un rôle moteur dans la négociation de cet accord. Je l'ai voulu. C'était un risque. Mais je suis heureux que nous l'ayons pris, parce que cela a marché. Non seulement le Luxembourg n'est pas le problème, mais il contribue à la solution. Nous sommes en train de réinventer un cadre pour la fiscalité du XXIe siècle. L'accord européen est ambitieux. La Commission aura toutes les informations nécessaires pour s'assurer que chaque État respecte ses obligations. L'enjeu, désormais, c'est que l'accord conclu au G2O soit effectivement respecté.

Le Figaro: La Commission vient de sanctionner Starbucks et Fiat, le second pour avoir bénéficié d'une aide de l'État luxembourgeois au travers de rescrit fiscal. Quelle est votre réaction ?

Pierre Gramegna: La Commission n'apporte pas la preuve qu'il y ait eu un traitement sélectif du cas de Fiat: l'existence d'une aide d'État n'est donc pas démontrée. La Commission a eu recours à des critères inédits. Nous allons maintenant analyser en détail cette décision et le raisonnement juridique de la Commission.

Le Figaro: La concurrence fiscale à l'intérieur de l'Europe, c'est fini ?

Pierre Gramegna: Cela, c'est un grand sujet ! Bien sûr, si on laisse faire, on risque de créer des situations dans lesquelles les taux d'imposition baisseront, dangereusement, au point que certains arriveront à ne pas payer d'impôts. Mais s'il n'y a pas de concurrence du tout, le risque inverse existe, de voir les États augmenter sans discernement leur taux de fiscalité. Je ne pense donc pas qu'il faille supprimer la concurrence fiscale, mais plutôt l'encadrer, l'harmoniser comme cela existe déjà pour les taux de TVA en Europe par exemple.

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