Interview de Pierre Gramegna avec l'essentiel Online

"Nous vivons un moment de grands changements"

Interview: L'essentiel Online

L'essentiel Online: M. Gramegna, pendant des années, le Luxembourg a nagé dans l'argent. Le travail du ministre des Finances devait être assez agréable. À présent, l'abolition du secret bancaire, la fin de la TVA sur le commerce électronique, les recettes fiscales sur les carburants qui reculent... Vous n'avez pas pris ce poste au meilleur moment?

Pierre Gramegna: Je dirais que la vie d'un ministre des Finances, était plus facile avant la crise financière de 2008, clairement. Le gouvernement précédent a ensuite triplé la dette jusqu'en 2013, ce qui peut partiellement se comprendre par la gravité de la crise. Cependant, cette politique a été maintenue pendant trop longtemps. Il était clair depuis 2007 qu'on perdrait, malheureusement, les recettes de la TVA sur le commerce électronique en 2015. Cependant, rien n'a été fait pour y pallier.

L'essentiel Online: Et à présent, c'est vous qui passez pour le méchant?

Pierre Gramegna: Nous avons dû prendre des mesures, même si beaucoup ont déplu. Cela n'a bien sûr pas été facile. Avec le paquet d'avenir, nous avons, autant que possible, distribué les efforts de manière équitable. Et, après 18 mois, je vois des résultats positifs et je suis heureux que nous nous soyons engagés dans cette voie pour parvenir à un budget équilibré.

L'essentiel Online: Vous avez hérité de Luxleaks d'un gouvernement précédent. Dans le monde entier, on a vu des photos de murs de boîtes aux lettres luxembourgeoises, qu'on associait plutôt aux îles Caïmans, auparavant. L'affaire a-t-elle durablement nui à l'image du Grand -Duché?

Pierre Gramegna: Pendant les premiers jours de l'affaire Luxleaks, on pouvait avoir l'impression que le problème était limité au Luxembourg. Nous avons alors pu montrer que des rescrits fiscaux existent dans 26 des 28 pays de l'Union européenne. En soi, c'est un procédé très raisonnable, dans le sens où il permet aux sociétés d'avoir une certitude sur la manière dont elles vont être taxées. Toutefois, il est juste que la combinaison des différentes législations fiscales nationales et internationales peut permettre à de grandes entreprises de payer peu, ou pas d'impôt. Aujourd'hui, il existe un consensus en Europe, voire dans le monde entier, que ceci n'est plus acceptable. Dans cet esprit, la présidence luxembourgeoise travaille à faire adopter avant la fin de l'année le projet de directive sur l'échange automatique des rulings.

L'essentiel Online: En parlant de fiscalité, il est annoncé que, après la réforme fiscale de 2017, on peut attendre un soulagement. Pour qui?

Pierre Gramegna: Grâce aux mesures budgétaires prises par ce gouvernement, nous disposons à présent d'une marge de manoeuvre, certes limitée, qui nous permet d'envisager des allégements fiscaux. Concrètement, la réforme devra profiter avant tout à ceux qui n'ont reçu que peu d'attention ces dernières années et décennies. Ce sont par exemple les jeunes familles avec deux revenus, ou les ménages monoparentaux. Alors même qu'ils ne figurent souvent pas très haut sur l'échelle des revenus, ils payent actuellement des impôts relativement élevés. En outre, nous devons veiller à ce que nos entreprises restent compétitives et continuent à créer des emplois. En fonction des impôts communaux, l'impôt moyen est de 28 à 29% dans ce pays. C'est relativement élevé dans un contexte international. Voilà pourquoi nous devons agir dans ce domaine également.

L'essentiel Online: Le ministre de l'Économie Étienne Schneider a annoncé une tranche indiciaire pour la fin de l'année. À présent, le prix du pétrole dégringole et le taux d'inflation diminue. Cela retardera-t-il l'ajustement des salaires?

Pierre Gramegna: La tranche d'indice tombe quand nous avons atteint le quota. Il n'est pas certain que nous y soyons en décembre. Nous vivons un moment de grands changements. Les prix des matières premières sont actuellement en baisse à un niveau spectaculaire. Si cela continue, cela aura un impact et déplacera le moment de la prochaine tranche d'index. Mais je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'une décision politique arbitraire, comme le croient certaines personnes. C'est prescrit par la loi en fonction de l'évolution économique. La tranche tombe quand les prix ont augmenté de 2,5%. Maintenant, nous sommes dans une situation inhabituelle depuis 2013, avec un taux d'inflation très faible. Mais cela a aussi ses avantages. La baisse des prix des matières premières, par exemple, est bonne pour notre compétitivité.

L'essentiel Online: Recettes en baisse, les dépenses soumises à des contraintes budgétaires, le Luxembourg s'est serré la ceinture. La croissance, ainsi que la croissance de la population, sont-elles le seul espoir de maintenir notre niveau de vie?

Pierre Gramegna: Absolument! Heureusement, nous créons 10.000 emplois nets par an depuis 2013. Un accroissement de la population en est le résultat naturel. Et c'est une bonne nouvelle pour le Luxembourg. C'est seulement de cette façon que nous pourrons garantir nos systèmes de pension et de sécurité sociale à l'avenir.

L'essentiel Online: Vous travaillez sur le budget du prochain exercice. Il y aura des surprises?

Pierre Gramegna: Pas vraiment. À une exception près. Le coût de l'accueil des réfugiés n'a pas été suffisamment anticipé et il est désormais difficile à calculer. Il y aura plusieurs centaines de réfugiés au Luxembourg. Et si nous voulons pouvoir prendre en charge correctement ces personnes, cela va coûter des dizaines de millions d'euros. Il y a des pays, que je ne nommerais pas, qui prennent beaucoup de réfugiés, mais ne font rien pour les encadrer correctement. Nous ne procéderons pas de cette façon.

L'essentiel Online: M. Gramegna, merci d'avoir répondu à nos questions.

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