Interview de Pierre Gramegna avec le Jeudi

"(...)Le Luxembourg reste le numéro 1 de la zone euro pour ce qui concerne la banque privée"

Interview: Le Jeudi (Michel Petit)

Le Jeudi: La hausse du PIB vous paraît-elle particulièrement encourageante?

Pierre Gramegna: Les chiffres sont positifs, mais n'oublions pas que nous vivons dans une économie ouverte sur l'extérieur. La mesure de l'évolution de l'économie est extrêmement complexe. Le Statec lui-même met en garde contre toute interprétation des chiffres. Lors de l'établissement du budget 2015, nous tablions sur une croissance de 3,5%, un chiffre que nous atteignons donc. À l'époque, on nous disait peu réalistes.

Le Jeudi: Dans quelle mesure ces bons chiffres accroissent-ils la marge de manoeuvre?

Pierrre Gramegna: Pour le budget de 2014, je ne vois pas les effets sur les recettes de l'État. Mais je constate que nous respectons à peu près la feuille de route. Pour le moment, nous n'avons qu'une photo partielle pour 2015. Nous verrons plus tard les effets sur les recettes. Nous restons sur notre trajectoire, sauf pour ce qui touche aux accises sur le pétrole et le diesel, qui sont en baisse de 6 à 7%, ce qui paraît être une contradiction.

Le Jeudi: Quelles sont les secteurs de l'économie qui génèrent la croissance actuelle?

Pierre Gramegna: Les secteurs des services et services financiers participent à la hausse du PIB. Un constat: la forte croissance des fonds d'investissement, une croissance à double chiffre. Les fonds d'investissement ont augmenté de 15% en huit ou neuf mois. Leur patrimoine global s'élève à 3.500 milliards d'euros. Je vois deux explications à cette situation. D'une part, pour moitié, la bonne tenue des bourses. D'autre part, l'attractivité de la Place. Un exemple, le Luxembourg reste le numéro 1 de la zone euro pour ce qui concerne la banque privée. C'est évidemment une bonne nouvelle au moment où le secret bancaire a été aboli. La levée du secret bancaire n'a donc pas du tout fait baisser les avoirs déposés au Luxembourg. Cette mesure n'a pas nui. Cela montre aussi qu'il était temps de procéder à cette réforme.

Le Jeudi: Et la transparence fiscale?

Pierre Gramegna: La transparence fiscale n'a pas nui non plus. En 2017, nous serons parmi les premiers à appliquer les accords de Berlin d'octobre 2014, accords sur l'échange automatique d'informations financières à des fins fiscales. Nous avons pris les premières mesures, dès 2014, préconisées par le Forum mondial pour répondre aux normes convenues de transparence et d'échange de renseignements dans le domaine fiscal. Il y a de fortes chances que, en octobre, le Luxembourg soit considéré comme conforme. L'ensemble de ces mesures complètent l'image d'un État moderne et transparent. S'agissant de Lux Leaks et du règlement des rulings, qui ne concernent pas que le Luxembourg mais 26 des 28 pays de PUE, j'en ai fait la priorité de la présidence luxembourgeoise. Il faut que tout cela, avec le Luxembourg comme artisan principal, soit finalisé pour la fin de la présidence.

Le Jeudi: Des parlementaires sont actifs dans le milieu de la finance et ont été cités à l'occasion des Swiss Leaks. Vous n'y voyez pas un conflit d'intérêt? 

Pierre Gramegna: Leurs activités sont couvertes par le secret d'avocat. Ce n'est pas à moi de juger. Je n'ai pas de commentaires.

Le Jeudi: Où en est la réforme fiscale, projet phare du gouvernement?

Pierre Gramegna: C'est un chantier de longue haleine. Nous avons fourni aux interlocuteurs, notamment au Conseil économique et social, une documentation extrêmement fournie. L'ensemble des chiffres sur l'état des lieux sont mis à la disposition de tous. Tout cela contribue à la réflexion. Mais nous n'avons pas d'a priori. Nous poursuivons un triple objectif d'un système fiscal plus juste, d'un allègement du fardeau pour l'individu (ce qui est une véritable nécessité) et d'un meilleur équilibre pour les entreprises sachant que celles-ci, tournées vers l'international, ne peuvent perdre en compétitivité.

Le Jeudi: Quelles sont les conséquences de la hausse de la TVA?

Pierre Gramegna: La 'TVA est tournée sur la consommation. Le consommateur n'est pas le seul concerné. La TVA est payée pour moitié par le consommateur, pour moitié par les entreprises et l'État. Mais toutes les entreprises ne sont pas concernées. Non assujetties, les assurances et les banques ne répercutent pas la TVA. Par ailleurs, des entreprises ne répercutent pas l'augmentation de la TVA sur le prix de leurs produits. N'oublions pas que nous avons conservé intact le taux de 3%, qui s'étend à de nombreux produits. Quant au nouveau taux de 17%, il reste le plus bas dans la zone euro. Nous n'avons pas modifié la TVA de gaieté de coeur. Mais nous devions compenser une partie de la perte de la TVA sur le commerce électronique. Les 320 millions que nous engrangerons en plus au budget 2016, par la hausse de la TVA, ne représentent pas la moitié de ce que nous perdons sur le commerce électronique. Il fallait relever le taux, sans quoi nous arrivions au bord du gouffre. La réforme de la fiscalité interviendra au 1er janvier 2017. Il est prématuré d'avancer des pistes.

Le Jeudi: La hausse de la TVA a-t-elle engendré une baisse de la consommation?

Pierre Gramegna: Pas nécessairement puisque tous ne répercutent pas la hausse de la taxe sur les prix. Par ailleurs, nous avons de la chance puisque le nouveau taux intervient au bon moment, lorsque nous connaissons cette forte croissance. Du coup, la hausse ne s'est pas répercutée sur le niveau de la consommation.

Le Jeudi: Comment le paquet d'avenir et le plan budgétaire pluriannuel aident-ils éventuellement à la gestion?

Pierre Gramegna: De la sorte, Bruxelles nous aide à mieux préparer l'avenir et à agir de façon durable et responsable. Cela dit, notre niveau d'investissement reste ambitieux. Là aussi, nous respectons notre trajectoire. Et cela explique aussi les bons résultats de la croissance. Quant au paquet d'avenir, dont le tiers a déjà été mis en oeuvre, il agit essentiellement sur l'efficacité des dépenses publiques que nous consentons.

Le Jeudi: À la vice-présidence de l'Eurogroupe, dans la gestion de la crise grecque, avez-vous vraiment l'impression que la population a été placée au centre des préoccupations?

Pierre Gramegna: Les ministres qui ont participé aux négociations n'ont jamais perdu de vue les efforts considérables demandés à la population. C'était l'un des éléments dramatiques du débat. Contrairement à la Grèce, au Portugal, en Espagne et en Irlande, on voit poindre la lumière au bout du tunnel. Ceci en matière de remboursement de la dette, du chômage, etc. En Grèce, ça n'a pas marché. Les souffrances de la population n'ont pas produit le retournement de la situation. Nous avons négocié un troisième paquet pour que l'économie grecque reparte. Mais, si chacun a sa part de responsabilité, le seul maître à bord, c'est le gouvernement grec. La nouvelle aide de plus de 80 milliards est un signe fort de la solidarité envers la Grèce. Le Luxembourg apporte quelque 540 millions d'euros. Chaque Luxembourgeois et résident a ainsi déjà prêté 1.000 euros. Et prêtera encore 350 euros de plus. C'est une preuve de solidarité même s'il faut bien reconnaître qu'il s'agit de mesures difficiles.

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