Interview de Pierre Gramegna avec le Luxuriant

"Je trouve normal qu'une société qui crée de la plus-value au Luxembourg soit taxée au Luxembourg"

Interview: Luxuriant

Luxuriant: Quel a été votre tout premier salaire et de combien était-il ?

Pierre Gramegna: Pendant mes études secondaires à Esch-sur-Alzette, je travaillais comme journaliste, payé 150 francs pour un article d'un quart de page paru dans le Républicain Lorrain.

Luxuriant: Quelle personnalité luxembourgeoise aimeriez-vous voir sur un billet de banque?

Pierre Gramegna: Le Grand -Duc Jean figurait sur les billets de 100 francs. Le Grand-Duc Henri représente notre pays sur les pièces d'euro. Je le verrais bien également sur des billets.

Luxuriant: Avec l'abolition du secret bancaire, sommes-nous prêts à rebondir économiquement ?

Pierre Gramegna: Quand le gouvernement a annoncé l'abandon du secret bancaire, certains ont prédit des conséquences négatives pour l'économie luxembourgeoise. Or, le nombre de banques est à nouveau en croissance, de même que le montant des avoirs sous gestion des fonds d'investissement luxembourgeois. De nouveaux clients arrivent, certains de pays très lointains, pour bénéficier de l'expertise des banquiers de la place. Cela montre que l'abandon du secret a permis à notre secteur financier de prendre un nouvel élan.

Luxuriant: Quelle est "LA" mesure qui apportera un renouveau économique?

Pierre Gramegna: Il serait difficile de mettre en avant une mesure isolée. Le gouvernement s'est engagé à rétablir l'équilibre des finances publiques d'ici 2018. Le budget 2015 et le budget pluriannuel, adoptés fin 2014, tracent le chemin pour y parvenir. Nous créons ainsi un fondement solide pour une croissance durable.

Luxuriant: Quels atouts possède le Grand -Duché pour attirer de grandes entreprises et par extension des diplômés de grandes écoles?

Pierre Gramegna: Le Luxembourg a tous les atouts, à part peut-être le climat. Pour ne citer que quelques exemples, nous bénéficions d'une stabilité politique et sociale idéale, d'un cadre juridique et fiscal adapté, d'une situation géographique centrale au coeur de la zone euro, des infrastructures de qualité, d'un niveau de vie des plus élevés, etc.

Luxuriant: Le Luxembourg figure parmi les 50 premiers pays signataires de l'accord de Berlin contre la fraude fiscale des particuliers. Est-ce une volonté de montrer son envie de paraître encore plus transparent?

Pierre Gramegna: Le fait, pour le Luxembourg, de rejoindre le groupe des "early adopters", c'est-à-dire des pays appliquant l'échange automatique d'informations en matière fiscale à partir de 2017, constitue une illustration concrète de l'engagement pris en faveur de la transparence en matière fiscale. Il était temps de mettre fin à d'éventuels doutes quant à la position du Grand -Duché à cet égard. Aujourd'hui, nous constatons que la transparence devient un nouvel atout tangible pour notre place financière.

Luxuriant: Le budget 2015 contient un paquet d'avenir ? Techniquement, sur le terrain, quelles seront les grandes actions financières?

Pierre Gramegna: Le paquet d'avenir est un ensemble de plus de 250 mesures structurelles, qui nous permettront de ramener nos finances publiques à l'équilibre d'ici 2018. Dans l'esprit de la transparence et pour assurer la prévisibilité, nous en avons présenté le catalogue complet dès 2014. Le paquet nous permettra, par exemple, de rendre plus efficace l'action de l'État, de simplifier le fonctionnement de l'administration et de moderniser la politique familiale. Par ailleurs, nous créerons un fonds souverain, ce qui constitue un véritable changement de paradigme. Toutes les mesures correspondantes n'ont pas encore été transposées avec le budget 2015, mais elles le seront progressivement sur les années à venir.

Luxuriant: Trop de coupes budgétaires réparties sur notre petit pays ne vont-elles pas, à court terme, provoquer une paralysie économique?

Pierre Gramegna: Entre 2014 et 2018, nos dépenses augmenteront chaque année en moyenne de 4%. Nos investissements ont augmenté de 9% entre 2013 et 2014. Cette croissance sera encore accélérée. Entre 2014 et 2015, le niveau de nos investissements augmentera de 15%, pour atteindre un montant de pratiquement deux milliards d'euros. Cette tendance sera maintenue à l'horizon 2018. Au regard de ces chiffres, je ne pense pas qu'on puisse parler de coupes budgétaires.

Luxuriant: Les enquêtes liées à la politique luxembourgeoise de tax rulings vont-elles motiver certaines multinationales à quitter le territoire luxembourgeois?

Pierre Gramegna: Non, rien ne l'indique. D'ailleurs, la Commission Européenne examine désormais les pratiques correspondantes de l'ensemble des États membres de l'Union. De même, I'OCDE travaille à mettre en place un cadre juridique mondial pour la fiscalité des entreprises. Le Luxembourg contribue activement à ces travaux. Nous souhaitons un "level playing field", c'est-à-dire que les mêmes règles s'appliquent à tous.

Luxuriant: Quand la France et l'Allemagne nous pointent du doigt au sujet des tax rulings, sommes-nous certains que ces pays n'octroient pas eux aussi des bénéfices fiscaux ou des garanties juridiques à d'autres multinationales?

Pierre Gramegna: Dans un premier temps, certains médias se sont effectivement acharnés sur le Luxembourg. En creusant le sujet, ils ont pu comprendre que la grande majorité des États du monde pratique les rulings sous une forme ou une autre. Ni Michel Sapin (ministre des Finances de la France), ni Wolfgang Schiiuble (ministre des Finances de l'Allemagne), pour rester aux exemples que vous citez, n'ont attaqué le Grand-Duché. Au contraire, les efforts que nous avons faits en faveur de la transparence en matière fiscale ont été largement reconnus.

Luxuriant: Les quatre géants de l'audit (PwC, KPMG, Ernst & Young et Deloitte) devraient-ils être également régulés lorsqu'ils montent un dossier d'implantation d'une multinationale au Grand-Duché en sous-entendant des réductions d'impôts proposées à l'administration fiscale luxembourgeoise?

Pierre Gramegna: Il ne faut pas céder aux clichés qui parfois frôlent la caricature. Ces entreprises n'exercent pas leurs activités dans un vide juridique. Au contraire, la pratique montre qu'elles sont soucieuses du bon respect des dispositions légales et réglementaires qui s'appliquent à leurs activités. Leur réputation en dépend. Les rulings ne sont pas des contrats, ni des accords mutuels. Il s'agit de décisions unilatérales par l'administration fiscale, en application des lois et conventions internationales. Ces actes donnent certitude et sécurité juridique, ce qui est légitimement recherché par les entreprises.

Luxuriant: Quels sont vos garde-fous lorsque de tels dossiers sont déposés par ces quatre auditeurs?

Pierre Gramegna: Tout contribuable a le droit de demander un ruling, donc une décision anticipée, par rapport à sa situation individuelle. La procédure est la même pour tout le inonde, qu'on se fasse conseiller ou non par un cabinet spécialisé. Dans le cadre du paquet d'avenir, nous en avons précisé la base légale. Il est évident qu'aucune décision anticipée ne sera rendue sur des demandes relatives à des situations purement théoriques ou à des opérations illégales. De même, la décision anticipée nt peut pas emporter exemption ou modération d'impôt.

Luxuriant: Selon I'OCDE, les revenus doivent être taxés là où ils sont créés: qu'en pensez-vous?

Pierre Gramegna: Je trouve normal qu'une société qui crée de la plus-value au Luxembourg soit taxée au Luxembourg.

Luxuriant: Où en sont les interactions économiques avec le Qatar dont la capacité à investir à l'étranger est très forte?

Pierre Gramegna: En tant que ministre des Finances, je travaille activement à la diversification de notre place financière, tant au niveau des produits offerts qu'en termes géographiques. La finance islamique est un des axes de développement. Dans ce contexte, je prévois de me rendre en mars 2015 au Qatar et dans d'autres États du Golfe pour une mission financière. En effet, le Qatar n'est pas le seul pays de la région qui nous intéresse.

Luxuriant: Quelles conséquences l'harmonisation de la TVA sur les transactions électroniques va-t-elle avoir sur la politique de développement de l'ICT au Luxembourg?

Pierre Gramegna: Il n'y a pas eu d'harmonisation de la TVA au niveau européen. Les consommateurs au Luxembourg continuent de bénéficier des taux de TVA les plus bas en Europe. Au niveau de la TVA sur le commerce électronique, s'applique désormais celle du pays du consommateur et c'est à ce dernier (et non plus au pays du commerçant) que reviendront les rentrées correspondantes. Les conséquences négatives de cette nouvelle réglementation seront tangibles au niveau du budget de l'État. Cependant, au niveau économique, le Luxembourg ne souffrira d'aucun désavantage comparatif, les mêmes règles s'appliquant partout en Europe. De plus le Luxembourg continue de bénéficier d'un cadre légal adapté et d'une infrastructure ICT des plus développées au monde. Je suis donc optimiste pour le développement continu de notre secteur ICT et notamment de volet Fintec, à l'intersection entre l'informatique et les services financiers.

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