''La mise en route a été difficile''

Interview: Marc Fassone (Le Jeudi)

Le Jeudi: Néophyte de la politique et de l'activité gouvernementale, comment avez vous vécu vos premiers mois en tant que ministre?

Pierre Gramegna: Néophyte: le mot est juste. Mais pas entièrement, car je ne suis pas un néophyte quand on parle des problèmes du Luxembourg. Problèmes qui ont été mon quotidien dans mes deux fonctions précédentes - diplomate et directeur général de la Chambre de commerce. En tant que diplomate, on représente le pays, on en défend les intérêts et, pour ce faire, on doit en connaître la dynamique. Et à la Chambre de commerce, qui participe à la procédure législative, j'ai vu passer au fil des années tous les projets de loi qui concernaient l'économie et les finances du pays. Au moment de prendre mes fonctions de ministre des Finances, je me sentais préparé. Il est vrai que le milieu politique était quelque chose de nouveau pour moi. Mais je m'y suis adapté.

Le Jeudi: Quels ont été les bons moments de vos premiers pas en tant que responsable politique?

Pierre Gramegna: Des bons moments, il y en a eu. Nous avons réussi à faire voter un budget 2014 en équilibre et qui respecte toutes les exigences du programme de stabilité et de convergence. La Commission nous a donné un feu vert sans conditions. Cela a été pour moi une cause de joie. Un deuxième motif de satisfaction a été la transposition dans la législation nationale du "pacte budgétaire", le 9 juillet dernier, via le projet de loi 6597 sur la coordination et la gouvernance des finances publiques. Nous avons fait une transposition très équilibrée, soutenue par l'opposition d'ailleurs. L'adoption, toujours avant les vacances, du projet de loi sur les sukuk - ndlr: des obligations conformes au droit islamique - est un autre bon moment. Grâce à cela, la Place dispose d'un nouveau produit. Last but not least, mon dernier voyage de promotion en Chine a confirmé que le Luxembourg était très attractif pour les investisseurs de ce pays.

Le Jeudi: Et les mauvais moments?

Pierre Gramegna: Les mauvais moments, je les ai surtout vécus lors de mon installation au ministère. Malgré ma volonté de travailler avec tous, et non pas avec un cabinet restreint, cela s'est mal passé. La mise en route a été difficile, mais maintenant, je dispose d'une équipe nouvelle et expérimentée. Et, c'est pour moi un motif de satisfaction, j'ai pu faire nommer deux femmes à deux postes importants. Isabelle Goubin à la direction du trésor - la première femme à occuper ce poste - et Pascale Toussing à celle de la fiscalité.

Le Jeudi: Le budget et son équilibre sont au centre de vos préoccupations. Pour vous, dans la confection d'un budget, qu'est-ce qui prime: les contingences financières ou le projet politique?

Pierre Gramegna: Tout d'abord, les deux choses ne s'opposent pas. Si vous voulez faire de la politique, réformer un pays, changer les choses, vous ne pouvez le faire que si vous avez des finances publiques saines. Si ce n'est pas le cas, tout devient plus dur. C'est mon postulat: c'est grâce à des finances publiques saines que l'on pourra moderniser le pays. Et réconcilier ces alternatives que vous opposez.

Le Jeudi: En pratique, comment allez-vous procéder, comment vont se faire les arbitrages avec les ministres?

Pierre Gramegna: Cette année, on a entrepris quelque chose qui n'avait encore jamais été fait: chaque ministère a mis en place un groupe de travail pour passer en revue tous les articles budgétaires et également pour chercher des synergies avec d'autres ministères et administrations. C'est un véritable état des lieux qui a été entamé. C'est un total de quinze groupes de travail, auxquels se sont ajoutés des groupes de travail transversaux comme, par exemple, celui chargé de grouper les achats et ainsi de rendre la dépense de l'Etat plus efficace, qui ont collaboré. Nous avons reçu des centaines de propositions émanant des ministères. Elles sont en cours d'analyse et seront débattues en conseil de gouvernement. Viendra après le temps des arbitrages.

Le Jeudi: En attendant ceux-ci, estimez-vous avoir des marges de manoeuvres budgétaires suffisantes, notamment par rapport aux prévisions de croissance?

Pierre Gramegna: Tout d'abord, les prévisions de croissance se situent dans une fourchette de 2,5% à 3% selon les prévisions de la Commission ou du Statec. C'est notre base de travail. Une base solide. Mais il ne faut pas se faire d'illusions: ce score n'est pas encore atteint. Il existe beaucoup de risques, économiques ou géopolitiques. En Europe, la croissance est répartie de façon peu homogène. Des pays stagnent, voire reculent. Et chez nos voisins, la situation est également contrastée. Pour un pays ouvert sur le monde et exportateur de services comme le nôtre, ces prévisions doivent être consultées avec précaution. Mon message est clair: c'est dans les périodes où l'économie va bien qu'il faut se donner un coussin de sécurité ou résorber les déficits accumulés. Cette croissance actuelle, nous allons nous en servir pour assainir nos finances publiques.

Le Jeudi: Vous parlez de risques pesant sur la croissance. Pensez-vous que la fin du secret bancaire va pénaliser l'économie?

Pierre Gramegna: Notre pays a vécu pendant très longtemps sur cet avantage qui, ces dernières années, a suscité beaucoup de critiques au niveau international. Le fait d'accepter l'échange automatique d'informations a été une décision difficile à prendre. Mais une décision importante et qui est arrivée au bon moment. L'échange automatique s'est imposé comme le nouveau standard international. La crainte que nous avions que son adoption ne conduise à une discrimination avec d'autres places comme la Suisse ou Singapour n'avait plus lieu d'être. Au cours de ces dernières années, le lien "Luxembourg secret bancaire" avait créé un bruit tel que nous n'arrivions plus à attirer d'autres activités. La disparition du secret bancaire ouvre de nouvelles perspectives de diversification pour la Place. Qui seront bonnes pour l'économie.

Le Jeudi: Pensez-vous que les sanctions prises contre la Russie suite à la crise ukrainienne puissent pénaliser l'économie et la Place financière?

Pierre Gramegna: Il faut rappeler que nous sommes totalement solidaires avec les sanctions décidées à l'échelle européenne. Ces sanctions vont avoir un impact sur la Place financière, mais il ne faut pas en surestimer l'importance car cela pourrait jouer sur l'avenir.

Le Jeudi: Quelle est pour vous la mesure budgétaire la plus importante à faire passer, faute de quoi vous pourriez considérer votre mandat comme raté?

Pierre Gramegna: Tout ramener à une seule mesure reviendrait à ignorer la complexité d'un budget de l'Etat. Ce qui est important, ce n'est pas une mesure mais la politique budgétaire prise dans son ensemble. L'objectif, le mien comme celui du gouvernement, c'est d'assurer l'équilibre et la viabilité des finances publiques. Si dans quatre ans, on y est arrivé, on pourra dire que nous avons réussi.

Le Jeudi: Quels sont, selon vous, les principaux défis que devra relever le pays à l'horizon 2020?

Pierre Gramegna: Le Luxembourg est l'un des pays le plus ouvert qui soit. Deux tiers de sa population active est d'origine étrangère et cette tendance ira en s'amplifiant. Nous allons continuer à nous développer en restant ouverts, ce qui pose un certain nombre de défis pour notre société. Pour moi, l'un des principaux est la résolution du "paradoxe luxembourgeois", c'est à-dire une hausse parallèle du nombre de créations d'emplois et du chômage. Ce qui passera par l'éducation, la formation et l'aide à la reconversion.

 

 


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