Pierre Gramegna au sujet du secteur financier au Luxembourg

"Nous sommes face à un changement de paradigme"

Lëtzebuerger Gemengen: Dans son avis du 3 juin, le Conseil d'Etat émet une opposition formelle au projet de loi sur l'échange automatique d'informations fiscales, demandant que ces informations soient plus exhaustives et plus clairement définies. Comment le projet de loi sera-t-il adapté en conséquence?

Pierre Gramegna: Nous sommes en train de travailler sur ce dossier. Nous analysons, bien sûr, tous les points soulevés par le Conseil d'Etat en essayant d'y répondre, et je suis confiant quant au fait que nous résoudrons le problème. Le gouvernement s'est engagé à effectuer l'échange automatique sur la directive de l'épargne dans sa version originale à partir du 1' janvier 2015. La directive sera donc adaptée dans les délais, je peux vous le confirmer.

Lëtzebuerger Gemengen: Qu'est-ce que la directive du 24 mars 2014, qui est venue élargir le champ d'application du dispositif sur la fiscalité de l'épargne, apportera de plus en matière de lutte contre la fraude fiscale? Quels vont en être les effets pour les résidents européens qui ont de l'épargne au Luxembourg?

Pierre Gramegna: Nous sommes face à un changement de paradigme. Jusqu'à présent, le Luxembourg, en se fondant sur le secret bancaire, refusait de divulguer l'identité des personnes qui possédaient des comptes au Luxembourg. A partir du 1" janvier 2015, nous ne pratiquerons plus la retenue à la source, mais l'échange automatique d'informations. En d'autres termes, au lieu d'envoyer de l'argent, retenu à la source, en vrac à un pays étranger, nous fournirons des indications nominatives aux administrations des pays d'origine des détenteurs de comptes, ce qui constitue une différence considérable.

Au 1er janvier 2015, le Luxembourg appliquera la directive de l'épargne qui a un champ d'application relativement restreint puisqu'elle ne concerne que les taux d'intérêt perçus par les résidents européens sur leurs comptes épargne. L'échange d'informations et l'imposition ne joueront qu'à partir de 2015, qui sera donc le premier exercice à être pris en considération.

Au mois de mars, le nouveau gouvernement a donné le feu vert à la directive élargie, laquelle devrait normalement prendre effet au 1" janvier 2018.

Lëtzebuerger Gemengen: Où en est-on dans la mise en oeuvre des recommandations de I'OCDE concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS)?

Pierre Gramegna: L'OCDE a pris l'initiative de radiographier toute une série de mesures fiscales existant dans les pays qui en sont membres pour vérifier leur compatibilité avec les règles du marché et de la concurrence. Le but est d'éviter que certains acteurs économiques tentent de réduire l'assiette sur laquelle on calcule leur fiscalité et d'échapper en partie à la taxation en faisant circuler leurs profits d'un siège à un autre qui est plus favorable. Le Luxembourg participe à ces travaux de manière très active. Quinze groupes de travail ont été formés qui passent au peigne fin des mesures qui vont des traitements fiscaux sur la propriété intellectuelle ou sur des produits hybrides jusqu'au ruling. En fait, l'Union européenne, dans son examen du code de conduite des pratiques fiscales dommageables, procède à un exercice similaire de sorte que certaines des analyses faites à I'OCDE sont reprises dans ses discussions.

Lëtzebuerger Gemengen: La place luxembourgeoise sera-t-elle prête pour l'échéance de janvier 2015 malgré ces récentes évolutions?

Pierre Gramegna: L'entrée en vigueur de cette directive au 1er janvier 2015 a déjà été annoncée en avril dernier. Les banques, les entreprises et leurs clients avaient donc plus d'un an et demi pour se préparer. De nombreuses banques, même avant le mois d'avril, encourageaient déjà leurs clients à se mettre en règle avec le fisc de leur pays d'origine. Comme, jusqu'à présent, les pays d'origine ne disposaient d'aucune information sur les dépôts, il n'y avait pas de risque de divulgation! Aujourd'hui, la pression de se mettre en conformité est beaucoup plus grande, mais je pense qu'un délai de vingt mois est raisonnable et que, pour la plupart des banques, l'adaptation est en cours et sera terminée pour le 1er janvier der 2015.

Lëtzebuerger Gemengen: Quel est l'échéancier pour la mise en place de l'union bancaire? Quand sera-t-elle opérationnelle?

Pierre Gramegna: La supervision commune des banques par la banque centrale européenne est en cours. La BCE effectue actuellement des "stress tests", c'est-à-dire qu'elle étudie comment les banques pourraient réagir à des chocs externes, et elle analyse, en parallèle, la qualité de leurs actifs. Ce double exercice doit être fini pour l'automne (octobre/novembre), période qui correspond à l'entrée en vigueur d'un mécanisme de surveillance unique. Deux autres piliers de l'union bancaire entreront en vigueur dans un second temps. Il s'agit de la mise en place progressive d'un fonds de résolution des banques auquel contribueront toutes les banques d'un pays et de la création de dépôts de garantie dans les banques pour assurer les avoirs des clients en cas de difficulté, et ce, à concurrence de 100.000 euros. Le Luxembourg devra adapter son mécanisme en passant, entre autres, d'un système "ex post" à un système «ex ante». En d'autres termes, jusqu'à présent, l'argent était mobilisé "ex post", c'est-à-dire à chaque fois qu'une crise se manifestait. Il le sera désormais "ex ante" comme le préconise la directive européenne, c'est-à-dire avant même qu'un problème se présente, ce qui permet de rembourser les clients dans des délais beaucoup plus courts.

Lëtzebuerger Gemengen: Quelle incidence l'union bancaire aura-t-elle sur la place luxembourgeoise?

Pierre Gramegna: Une plus grande sécurité pour les déposants et une plus grande crédibilité pour la place, puisque cette dernière fonctionnera selon des règles communes à tous les pays de la zone euro et à d'autres pays de I'UE qui voudront s'associer.

Dernière mise à jour