Pierre Gramegna au sujet du secteur financier au Luxembourg

"Notre secteur bancaire est sain"

Interview: Grzegorz Siemionczyk

RZECZPOSPOLITA: Le Luxembourg est considéré comme un des paradis fiscaux. Après la crise fiscale dans la zone euro qui a contraint les gouvernements à se serrer la ceinture, plusieurs d'entre eux ont commencé d'accorder une plus grande attention à la perte des revenus au bénéfice de ces paradis. Des propositions ont été avancées pour harmoniser la politique fiscale au niveau de l'UE. Est-ce une bonne idée?

Pierre Gramegna: Au Luxembourg, le taux de l'impôt sur les sociétés s'élève à 22 pour cent et si l'on ajoute des impôts locaux, il atteint le niveau de près de 30 pour cent. Je ne crois pas qu'il soit donc à un niveau exceptionnellement bas. En règle générale les taux des impôts directs au Luxembourg sont plutôt raisonnables. Quant à l'harmonisation au niveau de l'UE, cela nécessiterait l'unanimité de tous les membres. Cela signifie que c'est à chaque gouvernement de fixer le niveau des impôts directs. Et cette règle doit être maintenue. C'est l'un des fondements de la souveraineté des Etats. Par ailleurs, s'il n'y avait pas de concurrence dans le domaine des impôts dans l'UE, il y aurait un risque que partout ils seraient immédiatement revus à la hausse, comme c'était le cas de la TVA après l'harmonisation des impôts directs. Ceci engendrerait un risque d'une perte de compétitivité pour toute l'UE.

RZECZPOSPOLITA: L'harmonisation des impôts indirects ne fonctionne pas très bien. Le Luxembourg est par exemple critiqué par Bruxelles pour l'adoption du taux réduit de la TVA (3 pour cent) sur les livres électroniques.

Pierre Gramegna: Un livre électronique reste toujours un livre. Si l'on peut appliquer des taux réduits de la TVA sur les livres, pourquoi pas sur les livres électroniques. Si dans d'autres pays les autorités fiscales classifient les livres électroniques comme des services, ce n'est qu'une différence d'interprétation. L'UE devrait accepter ces différences d'interprétation. Nous n'avons pas l'intention de renoncer au taux réduit sur les livres électroniques.

RZECZPOSPOLITA: Est-ce que le Luxembourg aurait soutenu l'harmonisation des impôts directs, si celle-ci était limitée à la consolidation de la base d'imposition?

Pierre Gramegna: La CE travaille sur une proposition de consolidation de la base d'imposition, cependant elle n'est pas toujours prête. Nous acceptons l'idée de réduire les différences entre les bases d'imposition, mais nous estimons qu'il faut laisser aux Etats membres une certaine marge de manoeuvre.

RZECZPOSPOLITA: Si l'on parle des impôts, quelle est la position du Luxembourg concernant l'impôt sur les transactions financières envisagé par les 11 Etats membres de l'UE?

Pierre Gramegna: Nous sommes fermement opposés à cette idée. Certes, les 11 Etats membres qui ont l'intention d'introduire cet impôt, ont obtenu une autorisation de la CE et des autres membres de l'UE. Ceci est effectué dans le cadre d'une coopération renforcée entre eux. Cependant, ces 11 Etats membres doivent respecter la volonté des autres 17 pays. Or, il existe un risque important que cet impôt, en fonction de ca structure, ait un impact sur les pays qui ne l'ont pas accepté. De plus, nous sommes concernés par le fait que les discussions entre les 11 pays ne sont pas menées de manière transparente, bien que la procédure de coopération renforcée l'exige.

RZECZPOSPOLITA: Le statut de paradis fiscal attribué au Luxembourg est motivé non pas par les taux d'imposition faibles, mais plutôt par un niveau élevé du secret bancaire qui, selon les critiques, permet aux étrangers de cacher les revenus aux autorités fiscales nationales. Cette question est apparue récemment dans le contexte des sanctions contre la Russie, car plusieurs opérateurs économiques russes placent leur argent justement au Luxembourg.

Pierre Gramegna: Nous appliquons toutes les sanctions de 'UE à l'encontre de la Russie. D'ailleurs, indépendamment des sanctions, en matière du secret bancaire nous nous conformons à toutes les règles de l'UE. De plus, en mars nous avons accepté de participer à l'échange automatique des informations concernant les dépôts dans les banques. Ceci devrait réduire au silence toutes les allégations que nous aidons les étrangers dans le procédé d'évasion fiscale.

RZECZPOSPOLITA: Peut-être le Luxembourg, du fait d'être un abri pour les capitaux russes, devrait-il appliquer des sanctions plus restrictives que l'ensemble de l'UE?

Pierre Gramegna: Pourquoi ferions-nous cela? Pourquoi quiconque dans l'UE devrait faire plus que les autres? Personne n'attend cela de la Pologne et ne devrait l'attendre du Luxembourg. Toutefois, nous appliquerons toutes les sanctions que l'UE imposera solidairement sur la Russie.

RZECZPOSPOLITA: Lorsque, l'année dernière, le Chypre a eu besoin d'une aide financière internationale pour sauver les banques de la faillite, le Luxembourg était placé parmi les Etats qui ont également un secteur bancaire trop vaste par rapport à l'économie. Comment évaluez-vous la résistance de votre pays à d'éventuels problèmes des banques?

Pierre Gramegna: Nous sommes l'un des rares pays à qui les trois agences de notation de référence ont attribué la note la plus élevée dans le domaine de la qualité de crédit (AAA). Elles l'ont fait parce que notre secteur bancaire est sain. Il s'est avéré résistant à la dernière crise financière.

Par ailleurs, nous avons une dette publique parmi les plus basses dans l'UE par rapport au PIB (24 pour cent - note de la rédaction). De plus, la taille de notre secteur bancaire devrait être évaluée non seulement par rapport à notre propre économie, mais plutôt par rapport à toute l'économie européenne. Dans l'UE, nous avons après tout un marché commun et 95 pour cent des services fournis par les banques luxembourgeoises sont des services transfrontaliers. Les banques d'origine luxembourgeoise – elles sont 5 parmi 151 banques qui opèrent au Luxembourg – ne sont pas grandes. Cela nous distingue du Chypre ou de l'Islande. Une autre différence réside dans le fait que le secteur financier luxembourgeois est diversifié. A part les banques nous avons beaucoup de gestionnaires de fonds qui gèrent les actifs d'une valeur de 2 600 milliards d'euro. A cet égard nous nous plaçons à la deuxième position, après les Etats-Unis. Nous avons également des autorités de surveillance strictes. En conséquence, j'accorde une grande confiance à notre secteur bancaire.

 

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