Pierre Gramegna au sujet de la fin du secret bancaire et la construction de l'union bancaire

"Nous gardons la notion de confidentialité"

Interview: Linda Cortey

Luxemburger Wort: L'abandon partiel du secret bancaire a été annoncé par le précédent gouvernement. Vous avez poursuivi et amplifié ce mouvement en acceptant d'élargir la directive européenne sur l'épargne et en vous joignant à l'initiative de I'OCDE sur l'adoption de standards internationaux sur l'échange automatique d'information en matière fiscale. Etait-ce un mouvement inévitable?

Pierre Gramegna: La volonté du gouvernement luxembourgeois d'aller vers l'échange automatique d'informations en matière fiscale s'est faite de manière graduelle. Il y a tout d'abord eu l'annonce de l'ancien Premier ministre que le Luxembourg allait s'engager dans cette voie. Néanmoins, il y a eu ensuite un certain blocage sur la mise en oeuvre de cette annonce. Le nouveau gouvernement a dû débloquer cette situation et je crois que nous y sommes parvenus de manière graduelle et relativement harmonieuse. Nous avons d'abord maintenu la position du gouvernement sortant lors du premier sommet Ecofin. Ensuite, à la vue des réactions et des opinions que nous avons reçues du secteur financier et aussi de la vue des évolutions du dossier à l'échelle mondiale, nous avons choisi d'assumer complètement ce virage et d'accepter l'échange automatique d'une manière beaucoup plus large. Cela réduit comme peau de chagrin le secret bancaire tel que nous l'avons connu. Ce processus graduel a permis à la place financière de s'adapter. Nous avons pu constater que le secret bancaire était utile pour la banque privée, mais beaucoup moins pour les autres secteurs de la Place. Ce changement de cap va en fait changer durablement l'image de marque de notre place financière et faciliter la promotion de ses autres piliers.

Luxemburger Wort: N'y a-t-il pas un danger pour la banque privée au Luxembourg?

Pierre Gramegna: Les banques ont pu anticiper et y préparer leur personnel. Si je regarde aujourd'hui les dépôts des personnes physiques et les dépôts des entreprises auprès des banques, on constate en mars de cette année par rapport à mars de l'année dernière à peu près une stabilisation. Et sur les trois derniers mois, une très légère reprise chez les personnes physiques et une stabilité chez les entreprises. Nous n'avons donc pas eu de mouvements excessifs. Mais il faut dire que les chiffres de stabilité cachent peut-être une réalité plus complexe, en ce sens que des clients de petite taille et de proximité géographique se réorientent et ferment leurs comptes. En revanche il y a des clients plus importants, d'origine plus lointaine qui s'installent et qui ont besoin de produits plus sophistiqués.

Luxemburger Wort: Les plus petites banques ont davantage de difficultés à s'adapter...

Pierre Gramegna: La disparition programmée du secret bancaire a un double effet. Cela oblige les banques à être plus compétitives et cela améliore notre image de marque. Pour devenir plus compétitives, les banques doivent inventer de nouveaux produits, avoir de nouveaux services et utiliser au mieux tous les outils qu'offre la place financière. Notre gouvernement s'est inscrit dans la continuité avec le précédent en ce sens qu'il continue à miser sur la place financière et à la diversifier. Nous sommes actuellement en train de travailler sur le projet de la fondation patrimoniale. Nous allons continuer à enrichir la gamme des instruments grâce aussi à une revitalisation du haut comité pour la place financière qui s'est dotée d'une douzaine de groupes de travail qui réfléchissent sur les outils à créer. Les banques présentes ici peuvent s'appuyer sur ces outils et ils leur appartient de les utiliser au mieux.

Luxemburger Wort: Dans les négociations européennes sur l'abandon du secret bancaire, le Luxembourg a toujours demandé à ce qu'il y ait un «level playing field», des règles du jeux similaires entre les places financières. Avec l'accélération des négociations sur un modèle mondial d'échange automatique depuis fin 2013, a-t-on atteint ce «level playing field»?

Pierre Gramegna: Je dirais que nous arrivons bien audelà de nos attentes initiales puisque notre raisonnement était que cinq pays européens hors UE - y compris la Suisse -. devaient adopter le même niveau de renseignement pour que le Luxembourg puisse se diriger dans la même direction. Entre-temps les choses ont évolué très vite. Le «level playing field» va désormais bien plus loin que l'Europe. Les travaux de I'OCDE ont évolué plus vite qu'on ne le pensait et le standard de I'OCDE, le «common reporting standard» a été agréé par tous les pays de I'OCDE et même au-delà avec Singapour et la Chine. Le «level playing field» se développe, s'élargit à l'échelle planétaire. Cela montre que le Luxembourg avait une position initiale tout à fait juste en disant qu'il ne fallait pas des normes qui s'appliquent uniquement en Europe car, si on procède de la sorte, on nuit à l'attractivité de l'Union européenne en général.

Luxemburger Wort: Depuis la crise financière de 2008, la pression est forte pour aboutir à une transparence totale concernant les informations financières des particuliers. Jusqu'où ira ce mouvement de balancier vers plus de transparence?

Pierre Gramegna: Avec l'échange automatique et d'autres lois qui vont dans le même sens, nous sommes en train de mettre en place un contribuable totalement transparent, avec la volonté affichée de tous les Etats d'éradiquer la fraude fiscale pour engranger le plus possible de taxes, ce qui en soit est un objectif tout à fait normal mais nous sommes passés d'une certaine tolérance, plus ou moins acceptée, à une tolérance zéro. Tout cela procède du fait que nous sommes entrés dans un modèle de société qui collecte énormément de données sur les individus. Pour des raisons de sécurité, de combat contre le terrorisme mais aussi pour des raisons d'efficacité de gestion de données. En fin de compte, on est en train de mettre en place une société de transparence extrême, le balancier est en train d'aller très loin mais je pense que nous avons quand même heureusement tendance, au sein de l'Union européenne, à dire qu'il faut aussi protéger les données qui concernent la personne privée. Nous avons donc deux pôles qui doivent s'équilibrer et, au Luxembourg, nous garderons une notion de confidentialité qui est tout à fait légale et qui correspond aux besoins des résidents comme des non-résidents.

Luxemburger Wort: Après la directive sur l'épargne dans l'Union européenne, l'accord Fatca avec les Etats-Unis, il y aura bientôt des accords OCDE sur l'échange automatique d'informations en matière fiscale. Comment gérer les mises en place de ces différents accords qui demandent à chaque fois des reportings différents?

Pierre Gramegna: Une des demandes de notre pays quand nous avons accepté la directive élargie sur l'épargne était d'éviter le plus possible la multiplication des standards car c'est mauvais pour le consommateur, pour les banques qui doivent investir dans plusieurs logiciels et pour les Etats qui doivent jongler avec plusieurs normes. Le Luxembourg milite non seulement pour un rapprochement des normes mais aussi pour le choix entre les différentes normes pour éviter les multiplications. Nous en avons 3, la norme de Fatca, la norme OCDE et la norme européenne. Au cours de cette année, on va assister à des mouvements entre les pays pour voir comment trouver un dénominateur commun parmi ces normes. Il va donc y avoir une période de quelques mois pour savoir comment l'Union européenne va s'adapter.

Luxemburger Wort: La collecte de toutes ces informations à transmettre aux administrations fiscales étrangères demandera un lourd travail supplémentaire. Comment l'administration s'y prépare?

Pierre Gramegna: L'administration des contributions directes y travaille d'arrache-pied et sera prête pour l'échéance du ier janvier 2015. Elle travaille en parallèle sur l'échange avec les Etats-Unis au niveau de Fatca. En ce qui concerne I'OCDE, les textes ne sont pas en vigueur. Il est clair que ce seront des coûts importants, tant en ressources humaines qu'en informatique.

Luxemburger Wort: L'union bancaire européenne a été validée par les Etats et le Parlement européen. Elle va devenir réalité par étape entre novembre prochain et début 2016. Cela apporte réellement une meilleure sécurité pour la zone euro?

Pierre Gramegna: Il faut souligner que le fait d'avoir réussi à négocier cette union bancaire est un résultat majeur de la zone euro. Pendant des années on a dit que l'euro était menacé et que l'Europe ne trouverait pas de solution alors nous pouvons dire que l'on a atteint un résultat remarquable. Je m'en réjouis particulièrement pour le Luxembourg qui, avec une grande place financière internationale, est naturellement très exposé lors d'une crise financière - comme nous l'avons d'ailleurs appris à nos dépens même si, finalement, l'histoire a été clémente avec nous. Grâce à l'union bancaire, on a des réponses standardisées et tout un éventail qui nous protège en tant que pays et qui protège le contribuable et les épargnants. Pour le contribuable, on veut éviter le cercle vicieux qui - avant l'union bancaire - faisait qu'en cas de recapitalisation d'une grande banque c'était à l'Etat et donc au contribuable de sauver la banque. Désormais, ce cercle vicieux sera rompu puisqu'on évitera de recourir aux- fonds des Etats pour recapitaliser les banques.

Luxemburger Wort: Ce système empêchera-t-il de connaître de nouveau une situation comme en 2008 où il a fallu sauver deux banques très vite, à chaque fois en un week-end?

Pierre Gramegna: On connaîtra malheureusement encore des week-ends difficiles pour les banques dans les 100 prochaines années mais ce qu'on aura c'est un cadre de résolution qui n'existait pas jusqu'à présent. Un schéma selon lequel nous pourrons résoudre la crise de la banque, avec un fonds de 55 milliards pour sauver cette banque et une répartition des rôles clairement délimités. Il y aura toujours des week-ends douloureux mais on aura le livre de bord de ce qu'il faudra appliquer.

Luxemburger Wort: Les clients des banques luxembourgeoises bénéficient déjà d'une garantie de leurs dépôts jusqu'à 100.000 euros. Qu'est-ce que l'union bancaire change pour eux?

Pierre Gramegna: Le déposant sera protégé jusqu'à 100.000 euros. Ce qui exigera du côté luxembourgeois un changement de l'actuel système de fonctionnement de I'AGDL (Association pour la garantie des dépôts Luxembourg) qui repose sur un financement ex post. Il nous faudra trouver un système de financement de ce fonds qui donne encore plus d'assurance et permet d'assurer le paiement des dépôts avec célérité en cas de défaillance, ce qui est un élément fondamental pour la confiance. On est en train de travailler sur cette réforme. L'AGDL rassemblera toujours toutes les banques, simplement le financement sera anticipatif et il y aura d'autres modalités qu'il faudra adapter.

Luxemburger Wort: L'union bancaire prévoit également un fonds de résolution qui atteindra environ 55 milliards d'euros dans huit ans. Comment sera calculée la participation des banques luxembourgeoises à ce fonds?

Pierre Gramegna: C'est une question qui n'est pas encore résolue. Il est très difficile de donner des indications sur les critères qui seront retenus car la commission s'est engagée à faire des propositions sur les contributions nationales pour cet été. Pour l'instant, il n'y a pas encore de texte ni d'indication sur le mode de calcul. La seule chose que je peux dire c'est que si on tient compte de l'importance de la place financière luxembourgeoise sur l'échiquier européen, il est clair que la contribution luxembourgeoise sera relativement importante.

Luxemburger Wort: Le Luxembourg, comme les autres pays de la zone euro, va perdre ses prérogatives pour la supervision des banques. Quel en est l'intérêt?

Pierre Gramegna: Ce sera un enrichissement tout à fait fondamental parce que la supervision européenne sera centralisée. La moitié des banques situées au Luxembourg sera contrôlée directement par la Banque centrale européenne (BCE) et l'autre moitié par la CSSF. Nous garderons un contact dirèct avec les banques, ce contact sera même quotidien avec les banques supervisées par la CSSF. Mais nous aurons aussi une unité de supervision dans toute l'Europe. On ne pourra pas soupçonner le Luxembourg, si jamais ces soupçons ont existé, que notre supervision n'est pas bonne. Désormais ce sera la même pour tous les pays.

Luxemburger Wort: Les éléments de l'union bancaire se mettent en place progressivement, l'approvisionnement des fonds de résolution et des fonds de garantie va notamment s'étaler pendant huit ans. Quand pourra-t-on parler réellement d'une union bancaire au sein de la zone euro?

Pierre Gramegna: On peut parler de l'union bancaire dès la fin de cette année car le système de supervision sera mis en place et, dans les 18 prochains mois, les deux autres piliers seront mis en place.

Luxemburger Wort: Plus largement, quand pourra-t-on envisager la zone euro comme un marché bancaire unifié dans lequel la place financière luxembourgeoise ne serait plus considérée comme une place nationale disproportionnée mais comme une place européenne?

Pierre Gramegna: A mon sens, nous sommes déjà dans une zone européenne unique. Notre discours depuis toujours concernant la taille de notre place financière est que notre place sert surtout le marché unique européen et la zone euro. Il faut donc mesurer la taille de la place financière par rapport à son potentiel de clients qui est européen.

Luxemburger Wort: La fin du secret bancaire est en cours, l'intégration au sein de l'union bancaire aussi. Les critiques envers le Luxembourg ne se sont pas éteintes pour autant. Faudra-t-il attendre encore longtemps pour voir une amélioration de l'image du Luxembourg?

Pierre Gramegna: On peut dire que l'amélioration de l'image est en phase de démarrage. Il est tout a fait compréhensible qu'une réputation, fondée ou infondée, ne pourra pas être çontrecarrée en quelques semaines ou par un changement d'attitude important mais que le grand public ne suit que de loin. Pour améliorer l'image, il faudra du temps et je peux vous dire que j'y travaillerai jour et nuit avec beaucoup d'endurance et d'assiduité dans les prochaines années. C'est la tâche de mon ministère mais aussi de tout le gouvernement et c'est un message qu'il faudra porter régulièrement. On ne changera pas d'image en un clin d'oeil.

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