Pierre Gramegna au sujet des finances publiques et de la place financière au Luxembourg

"La piste de la réduction des dépenses doit être privilégiée"

"En revanche, en ce qui concerne les finances publiques, le programme gouvernemental de l'actuelle majorité ne s'inscrit nullement dans la continuité. Le précédent gouvernement n'a pas fait preuve de suffisamment de rigueur et d’imagination à ce niveau. S'il fallait effectivement mener une politique de relance au début de la crise, celle-ci n'avait pas vocation à durer trop longtemps. Or force est de constater que le gouvernement CSV-LSAP a laissé déraper les déficits."

Lëtzebuerger Gemengen: Monsieur Gramegna, vous êtes le seul membre du gouvernement dit "indépendant", soit sans jamais avoir fait de politique (bien que vous ayez rempli de très hautes fonctions à l'international) et sans étiquette, qui plus est nommé au ministère des Finances. Comment vous positionnez-vous parmi ces trois courants politiques au final hétérogènes et comment concevez-vous votre mission?

Pierre Gramegna: Je n'avais effectivement pas d'affiliation politique jusqu'au mois de décembre dernier pour la simple et bonne raison que les métiers que j'ai exercés auparavant, à savoir diplomate et directeur général de la Chambre de Commerce, exigeaient à mon sens d'être exécutés en toute neutralité et impartialité. Sur proposition du formateur, Xavier Bettel, j'ai accepté de rejoindre les rangs du DP avant d'être nommé ministre des Finances. J'essaie de faire de cette particularité une force, être un ministre à l'écoute de tout le monde.

Pour répondre à votre deuxième question, le ministre des Finances est en charge des finances du budget et du trésor des fonctions horizontales qui lui confèrent un rôle charnière, au centre des équilibres l'obligeant à trouver des dénominateurs communs.

Lëtzebuerger Gemengen: Vous avez affirmé que cela ne vous posait pas de problème d’inscrire votre travail dans la lignée de celui de votre prédécesseur, Luc Frieden. Dans les faits, comment cela se traduira-t-il? Quelles sont vos priorités?

Pierre Gramegna: Lorsque j'ai parlé de continuité avec la politique menée par mon prédécesseur, Luc Frieden, c'est au niveau des dossiers ayant trait à la place financière, qui ont été traités avec brio. En effet, j'estime que la place financière s'est très bien développée au cours des cinq dernières années et que de nombreuses initiatives ont été prises.

En revanche, en ce qui concerne les finances publiques, le programme gouvernemental de l'actuelle majorité ne s'inscrit nullement dans la continuité. Le précédent gouvernement n'a pas fait preuve de suffisamment de rigueur et d’imagination à ce niveau. S'il fallait effectivement mener une politique de relance au début de la crise, celle-ci n'avait pas vocation à durer trop longtemps. Or force est de constater que le gouvernement CSV-LSAP a laissé déraper les déficits.

Le Grand-Duché affiche désormais 1,5 milliard de déficit annuel, et la piste de la réduction des dépenses doit être privilégiée à celle de la hausse d'impôts, compétitivité des entreprises et attractivité du pays obligent. Aussi, pour l'établissement du budget 2015, nous sommes en passe de nous doter d'une nouvelle architecture et d'une nouvelle méthode. Il s'agit de se fixer des objectifs précis et de remettre en cause les crédits budgétaires en partant de la méthode » zero based budgeting » (ndlr: procédure de budget base zéro), c'est-à-dire de «repenser» chaque dépense afin d'allouer les ressources de la manière la plus efficace possible.

Pour finir, nous devons appréhender le budget de manière transversale et non par ministère. Bien évidemment, pour pouvoir atteindre le rééquilibrage des finances publiques dès 2015, il sera nécessaire de revoir à la hausse certains impôts. Aussi, nous prévoyons d'augmenter la TVA de deux points pour la porter à 17%.

Lëtzebuerger Gemengen: Le Luxembourg entend que «L'échange automatique d'informations dans l’UE doit nécessairement s'accompagner de l'introduction de mesures équivalentes dans les pays tiers», avez-vous affirmé récemment, réitérant ainsi les propos tenus par l'ancien Premier ministre. Le Luxembourg ne joue-t-il pas tout simplement la montre?

Pierre Gramegna: C'est un dossier compliqué qui mérite une explication somme toute très simple. Le Luxembourg a fait un pas considérable lorsqu'il a annoncé en avril 2013 qu'il était prêt à accepter l'échange automatique d'informations au sein de l'UE voire même au-delà des frontières du continent. Cette annonce a été saluée par de nombreux observateurs qui ont vu en elle un changement de paradigme dans le fonctionnement de notre place financière. Le nouveau gouvernement entend respecter ces engagements.

Maintenant, la mise en oeuvre doit se faire de telle manière que le Luxembourg ne se retrouve pas dans une position désavantageuse par rapport à ses principaux concurrents, notamment ceux qui se situent sur le continent européen mais ne faisant pas partie de l'Union européenne. Bien évidemment, je pense en premier lieu à la Suisse. C'est là une question de bon sens, la Commission européenne l'a d'ailleurs reconnu. Cette dernière a annoncé que des négociations seront menées avec les cinq pays tiers européens en question, une annonce qui n'a toujours pas été suivie de faits.

Lëtzebuerger Gemengen: Que répondez-vous à votre homologue italien Fabrizio Saccomanni, qui prétend que les négociations avec les cinq pays tiers voulues par l'Autriche et le Luxembourg sont «une excuse»?

Pierre Gramegna: Si l'Autriche et le Luxembourg cédaient avant que l'on sache si la Suisse et les quatre autres pays ont l'intention de faire de même, on risque une fuite des capitaux hors de l'Union européenne, et ce n'est ni dans l'intérêt du Luxembourg ni de l'UE.

Lëtzebuerger Gemengen: Vous vous êtes félicité le mois dernier que le Conseil Ecofin ait approuvé l'orientation générale sur le règlement communautaire portant création du mécanisme unique de résolution, «une étape décisive vers la construction de l'Union bancaire», pour reprendre vos propos. En quoi cet accord est-il décisif?

Pierre Gramegna: Il faut se replonger en 2011, année durant laquelle la crise économique et financière, qui a vu le jour aux Etats-Unis, battait son plein et commençait à faire des victimes avant tout en Europe, à commencer par la Grèce et l'Irlande. Parallèlement, l'euro faisait l'objet d'attaques considérables, tant sur son fonctionnement que sur son existence même. Il y a deux ans, une des critiques principales avait porté sur l'absence de politique économique et fiscale communes et sur l'absence de mécanisme de sauvetage des banques. Ces lacunes étaient considérées comme telles que beaucoup d'acteurs du marché doutaient de la survie de l'euro. Aussi, les ministres européens des finances ont décidé de se doter d'instruments capables de répondre à ces craintes et anticiper les conséquences éventuelles d'une nouvelle crise. Les réflexions des membres de l'Eurogroupe ont porté sur trois piliers: une supervision bancaire commune - mise en place depuis, un dépôt de garanties commun à l'échelle européenne - mesure en passe d'être réalisée, et, enfin, un mécanisme de résolution en cas de crise. L'accord de principe pour ce dernier pilier, qui reste encore à peaufiner, complète un triptyque remarquable qui n'avait existé sous aucune forme par le passé, qui permettra d'être bien armé si une nouvelle crise devait voir le jour. Dès lors, je considère qu'il s'agit-là effectivement d'une avancée décisive.

Lëtzebuerger Gemengen: Cela suffira-t-il?

Pierre Gramegna: Comme pour toutes décisions de ce type, c'est seulement a posteriori que l'on peut juger si les mesures prises en amont ont été suffisantes. Je vous répondrais que tout dépend de l'ampleur de la crise qui pourrait un jour à nouveau s'abattre sur les marchés financiers. Quoi qu'il en soit, comme dit, nous sommes désormais nettement mieux équipés qu'auparavant. Précisons d'ailleurs que pour le troisième pilier, à savoir le mécanisme de résolution, nous allons mettre sur pied un fonds de réserve sur une période de dix ans.

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