Emmanuel Kessler: L’heure de vérité approche pour la Grèce, J-1 avant la limite demain soir pour l’opération d’échange de la dette grecque. "Invité de l’économie" ce soir, Luc Frieden, ministre luxembourgeois des Finances. Monsieur Frieden, bonsoir.
Emmanuel Kessler: Merci d’avoir répondu à l’invitation de LCI. Vous êtes à Paris pour notamment la remise European Fund Awards 2012, une manifestation à laquelle LCI est associé. Alors, l’actualité c’est donc cette échéance cruciale pour la Grèce. D’après vous, est-ce que l’objectif de participation des créanciers privés, pour au moins 75% du montant de la dette qui doit être échangée, va être atteint?
Luc Frieden: On ne peut que l’espérer, parce que nous avons fait énormément d’efforts en négociant avec le secteur privé les conditions de cet échange de titres grecs. Les États ont fait un effort énorme lors du premier prêt et lors du deuxième paquet d’aides à la Grèce. Et donc, je crois que les créanciers privés doivent comprendre que l’offre qui leur est faite maintenant est plus confortable, les termes sont meilleurs que ce qui se passerait si, par malheur, on n’atteindrait pas les résultats escomptés. Et donc, je crois qu’on a jusqu’à demain soir. On s’attendait toujours à ce que beaucoup de créanciers privés annoncent la couleur à la fin de ce processus [interrompu]
Luc Frieden: Oui. Il est évident que tout est lié. Nous avions deux objectifs, une dette soutenable de la Grèce en 2020 à 120 %, et un paquet étatique de 130 milliards. Et donc, je crois que tout cela se tient. Et dans cette deuxième aide, la participation des créanciers privés était un élément essentiel, et donc nous n’avons ni le temps, ni les moyens pour recommencer les négociations.
Emmanuel Kessler: Bon, comme ça, si ça se passe mal, il y aura à nouveau l’effet domino sur l’ensemble de la zone euro, une nouvelle crise?
Luc Frieden: Si ça se passe mal, ce sera très mauvais pour les marchés, ce sera mauvais pour les États, mais il n’y aura pas d’effet domino, dans la mesure où entre-temps nous avons mis sur pied des mécanismes de stabilisation de la zone euro, EFSF, mécanisme européen de stabilité, qui peuvent intervenir pour éviter cet effet de contagion.
Emmanuel Kessler: Même si se déclenche, en cas d’échec, ce qu’on appelle les CDS des titres d’assurance sur la dette grecque?
Luc Frieden: Nous ne spéculons pas aujourd’hui sur cela. Je crois que les créanciers privés savent quel est l’enjeu, et qu’ils ont tout intérêt à prendre ce deal tel qu’il est actuellement sur la table.
Emmanuel Kessler: Vous ne croyez plus au risque d’une sortie de la Grèce de la zone euro, si ça ne marche pas?
Luc Frieden: Je crois que les Grecs ont fait énormément d’efforts. Toutes les conditions dures que nous avons imposées à la Grèce ont été remplies. Et donc, je crois qu’aujourd’hui il s’agit d’exprimer la solidarité avec la Grèce, qui est dans l’intérêt de la stabilité de la zone euro, et notamment des banques françaises, luxembourgeoises, autres, qui ont prêté à la Grèce.
Emmanuel Kessler: Monsieur Frieden, en juin doit se décider la succession de Jean-Claude Juncker, votre Premier ministre au Luxembourg, président de l’Eurogroupe depuis l’origine de l’Eurogroupe. Ça fait l’objet d’intenses tractations. Alors, comment ça va se passer? Est-ce que d’après vous c’est un ministre des Finances qui doit présider l’Eurogroupe, ou est-ce que c’est un job à plein temps?
Luc Frieden: Je crois que dans les circonstances actuelles, circonstances de crise, il serait mieux que ce soit quelqu’un qui fasse ça à plein temps, et qui puisse aussi voyager dans les différents pays pour être un médiateur entre les différentes positions. Et donc, je crois que, quand on est ministre ou Premier ministre dans un pays, on n’a pas suffisamment de temps pour le faire. J’aimerais que le président de l’Eurogroupe, à moyen terme, ait plus de pouvoirs, soit vraiment une sorte de ministre des Finances européen.
Emmanuel Kessler: Et ça ne peut pas être monsieur Van Rompuy, dont on vient de renouveler les fonctions de président du Conseil européen?
Luc Frieden: Non, je crois qu’il y a une différence entre un chef de gouvernement et un ministre des Finances. Les ministres des Finances sont des personnes qui ont une mission différente, qui est une connaissance technique des dossiers, à côté de la connaissance politique. Et donc, je crois qu’il est bien que les ministres des Finances préparent un certain nombre de dossiers pour les chefs de gouvernement. Donc, non, je ne pense pas que ça puisse être aussi monsieur Van Rompuy, qui a déjà beaucoup de travail en présidant le Conseil européen.
Emmanuel Kessler: À peine signé, le nouveau pacte budgétaire provoque déjà des accrocs. On le voit avec l’Espagne, qui dit qu’elle ne va pas être au rendez-vous des objectifs qu’on lui a fixés. Même les Pays-Bas, votre voisin, et pourtant très zélés dans la défense des équilibres budgétaires, là aussi marquent quelques réticences. Est-ce qu’on peut assouplir ce pacte?
Luc Frieden: Non. Le pacte budgétaire est des règles de bon sens. Même si on n’avait pas ce pacte, la stabilité de la zone euro est à ce prix. On n’a pas d’union politique, donc il faut des règles qui s’appliquent à tout le monde.
Emmanuel Kessler: Et que pensez-vous, Luc Frieden, de la position de François Hollande, qui dit: "Moi, si je suis élu, je vais renégocier le traité pour y ajouter justement cette dimension de croissance?"
Luc Frieden: Je crois que la campagne politique française est suffisamment compliquée pour que les étrangers ne s’y mêlent pas. Mais je crois qu’il est [interrompu]
Emmanuel Kessler: Oui, mais par exemple, l’Autriche écoute ça d’une oreille attentive.
Luc Frieden: Je crois que le pacte budgétaire, qui a été signé voici quelques jours, ne remet pas en question la croissance.
Emmanuel Kessler: Merci beaucoup, Luc Frieden, d’être venu sur ce plateau. Je rappelle que vous êtes le ministre luxembourgeois des Finances.