Luc Frieden au sujet du projet de budget 2011

Paperjam: Monsieur Frieden, vous avez à plusieurs reprises répété le mot de 'solidarité' au moment de présenter le budget 2011. Est-ce vraiment le mot clé que vous tenez à mettre en exergue?

Luc Frieden: Solidarité et développement économique doivent aller de pair. Sans le développement économique, il n'y a pas d'Etat social. J'estime que le budget de l'Etat pour 2011 essaie d'atteindre ces deux objectifs... Et cela se fait en maintenant à un haut niveau les dépenses d'investissement et en contribuant à une politique sociale et familiale de manière importante.

Paperjam: Vous réfutez, donc, la notion de budget d'austérité dans un contexte économique toujours incertain?

Luc Frieden: Il n'y a jamais eu de budget d'austérité au Luxembourg, car en 2009 et en 2010, nous avons présenté un budget ayant pour objectif de soutenir les entreprises par des dépenses publiques supplémentaires. Le budget 2011 est caractérisé par une forte discipline budgétaire, car nous avons tenu à avoir une bonne maîtrise des dépenses, qui ne vont augmenter que de 1,0% par rapport aux prévisions de 2010. Je crois que c'est cette maîtrise des dépenses, combinée à des recettes plus importantes, qui nous permet de réduire le déficit budgétaire. Cela reste un objectif du gouvernement pour maintenir, sur le long terme, des finances publiques saines. Cette discipline budgétaire doit vraiment être analysée dans la durée et le budget 2011, dans ce sens, n'est qu'une première étape vers le retour à l'équilibre de nos finances publiques.

Paperjam: Quelles seront les étapes suivantes, alors?

Luc Frieden: Ce seront les prochains budgets! A la lumière des évolutions de la situation économique et des recettes fiscales, nous déciderons à la mi-2012, comme cela a été annoncé, si de nouvelles réductions budgétaires sont requises.

Paperjam: Et d'ici à la mi-2012? Que se passera-t-il?

Luc Frieden: Les décisions politiques qui ont été prises doivent maintenant être exécutées. Mais il est évident que, dans le même temps, nous surveillons, presque en temps réel, l'évolution de nos recettes et de nos dépenses. Il ne faut surtout pas penser qu'en période de crise, gérer les comptes publics est une chose facile. Cela demande beaucoup de minutie pour éviter les dérapages.

Paperjam: La préparation de ce budget a été plus longue que les années précédentes. Comment se sont passées ces séances de travail?

Luc Frieden: Il est vrai que durant de nombreuses années, les débats budgétaires étaient surtout des débats à l'intérieur du gouvernement sur la répartition des crédits entre les différents ministères. Cette fois-ci, nous devions, à côté de ce travail qui est toujours difficile, réduire un bon nombre de dépenses, ce qui évidemment a pris un temps considérable. Mais le résultat est là, puisque les dépenses de fonctionnement de l'Etat ont été réduites de 3,7%, ce qui est considérable. Et tous y ont contribué.

Paperjam:Dans les faits, où retrouve-t-on ces économies?

Luc Frieden: Beaucoup de crédits ont été réduits. Par exemple, les frais de déplacement, les frais d'expert ou d'autres crédits similaires. Dans le fonctionnement de l'Etat, les choses vont changer au cours de l'année prochaine. Et aussi longtemps que les finances de l'Etat afficheront un déficit, il faudra continuer à réduire graduellement ce déficit... Je tiens tout de même à préciser que ces frais de fonctionnement de l'Etat ne constituent pas la partie la plus importante du budget. L'évolution des dépenses sociales et celle des dépenses d'investissement représentent, par exemple, bien plus que ces frais de fonctionnement.

Paperjam: Vous avez donc fixé 2014 comme date de retour à l'équilibre des comptes publics. Doit-on considérer cette échéance comme un but ultime ou une simple étape?

Luc Frieden: Cet objectif de 2014 s'impose de lui-même par les règles de la démocratie. Ce sera l'année des élections législatives. Il est évident qu'un certain nombre de réformes devront être poursuivies au-delà de 2014. Le monde change. L'Europe et le Luxembourg sont dans une phase de restructuration face à d'autres parties du monde. L'objectif, à la fois pour les finances publiques, mais aussi pour la place financière, est de veiller à ce que le Luxembourg reste attrayant pour son développement économique et l'essor des services financiers. Cela s'inscrit dans la durée et, encore une fois, des finances saines constituent la base de ces développements.

Paperjam: Vous évoquez le maintien à un haut niveau des dépenses d'investissement. Pourtant, elles s'affichent en nette baisse par rapport à ce qui était initialement prévu dans le plan pluriannuel. Où positionnez-vous le point d'équilibre entre trop investir et pas assez?

Luc Frieden: Il faut simplement voir que la croissance des dépenses d'investissement, telle qu'elle avait été prévue il y a deux ans, était trop forte.

Paperjam: Pour quelle raison? Une erreur de calcul?

Luc Frieden: Les prévisions ont été établies à un moment où l'on ne s'attendait pas à ce que la crise ait une si forte influence sur les finances publiques... Face à une situation économique aussi difficile, il n'était pas possible de financer tout ce qui avait été annoncé. Aussi bien les finances publiques que les entreprises du secteur de la construction et de l'artisanat n'étaient pas en mesure d'absorber des sommes aussi importantes. En combinant tous les paramètres, nous avons finalement estimé que le fait d'avoir des dépenses d'investissement représentant 4% du PIB était un seuil suffisamment important, à la fois à l'échelle nationale, mais aussi au regard de ce qui se fait à l'étranger. En maintenant, par ailleurs, un niveau d'investissement supérieur à celui de 2009, nous permettons aux entreprises de garder un flux d'activité suffisant pour stabiliser l'emploi.

Paperjam: Quand espérez-vous pouvoir relancer de nouveau ces dépenses d'investissement?

Luc Frieden: Je pense que nous avons déjà atteint un niveau extrêmement élevé et il n'y aura donc pas de progressions à attendre dans les prochaines années. Le niveau des investissements en 2011 est plus élevé par rapport à ce que nous avons pu observer au cours de la période 2000-2010. Il n'y a donc pas de nécessité à augmenter ces dépenses d'investissement. Non seulement il n'y a pas de nécessité, mais il n'y a pas non plus de possibilité de le faire.

Paperjam: Le compte général de l'exercice 2009 affiche un déficit de 785 millions d'euros, alors que le budget 2009 voté tablait sur un excédent de 13 millions d'euros. Quelle a été l'influence de cette dégradation sur la préparation du budget 2011?

Luc Frieden: Il faut d'abord expliquer que cette différence est évidemment due aux conséquences de la crise économique. Mais ce n'est pas ce seul résultat de l'exercice 2009 qui a amené à nos prises de décisions. Et si nous avons l'objectif du rétablissement de l'équilibre des finances publiques en 2014, ce n'est pas uniquement pour avoir un déficit zéro, mais aussi parce que nous ne voulons pas augmenter la dette publique. C'est à la lumière des prévisions de recettes et de dépenses que nous avons fixé cette trajectoire. C'est un exercice qui s'inscrit évidemment dans la durée et non pas sur la base des résultats d'une seule année.

Paperjam: Dans la réduction annoncée du déficit budgétaire, quelle est, selon vous, la part due au redressement de la situation économique mondiale et la part due aux mesures que vous avez prises?

Luc Frieden: C'est moitié-moitié. Mais il est évident que sans les mesures d'assainissement budgétaire, nos finances publiques afficheraient un déficit de 3% et l'administration centrale de près de 5%. Il est donc nécessaire de réduire le déficit et les mesures que nous avons prises y ont contribué substantiellement. Il convient maintenant de maintenir cet effort. A court terme, nous avons conscience que certaines décisions ne sont pas populaires. Mais à partir du moment où notre action se situe dans la durée, il n'y a pas d'alternative à ces mesures de réduction du déficit budgétaire et nous devons continuer sur cette même trajectoire au cours des prochaines années.

Paperjam: Vous parlez de mesures qui ne sont pas agréables pour ceux qui doivent y contribuer. Comprenez-vous la colère des frontaliers au sujet de la suppression de certaines de leurs allocations?

Luc Frieden: Je tiens tout d'abord à dire que nous avons besoin d'eux et que eux ont besoin de nous. Nous avons, au cours des dernières années, introduit un certain nombre de mesures, notamment fiscales, qui font en sorte qu'ils sont, à certains égards aussi bien, voire mieux traités que les résidents. En ce qui concerne le point précis sur les bourses d'études, nous avons en fait simplement adapté notre législation à celle des autres Etats membres de l'Union européenne... Face à une situation financière difficile, et face à la volonté de modifier le système des bourses, notre volonté n'a pas été de fâcher les frontaliers, et j'espère qu'après une analyse plus approfondie, notamment de certaines mesures fiscales, ils comprendront qu'ils ne sont pas traités par le Luxembourg comme des salariés de seconde classe.

Paperjam: A quelles mesures fiscales faites-vous allusion?

Luc Frieden: Je pense à certaines classes d'impôt dans lesquelles ils figurent, ou bien au maintien de modérations fiscales pour enfants.

Paperjam: Un certain nombre de plaintes ont été déposées auprès de la Commission européenne sur ces mesures votées, venant aussi bien de syndicats luxembourgeois que de collectifs en Belgique. Craignez-vous d'être amené à revoir votre copie?

Luc Frieden: Il appartiendra évidemment à la Cour de justice de l'Union européenne de statuer sur cette problématique. Mais il me semble clair qu'un arrêt défavorable à l'Etat luxembourgeois aurait des conséquences sur une vingtaine de pays de l'Union, dans lesquels le système de bourse en vigueur est lui aussi lié au lieu de résidence. J'observe par ailleurs que très rares sont les pays de l'Union qui paient des allocations familiales à des enfants ayant atteint l'âge de la majorité.

Paperjam: Le choc a tout de même été assez frontal pour tous les frontaliers. N'avez-vous pas le sentiment d'avoir péché dans la façon de communiquer sur ces mesures?

Luc Frieden: Non. Mais je conçois que pour les frontaliers, tout comme pour les résidents, devoir renoncer à ce à quoi ils sont habitués est très dur. Mais je demanderai à ceux qui nous observent de comparer le revenu net ici avec ce que l'on peut toucher dans d'autres Etats et aussi de comparer notre programme de réduction de déficit avec le programme de réduction du déficit dans d'autres pays de l'Union européenne. C'est à la lumière de cette analyse comparative que les jugements seront peut-être alors plus nuancés.

Paperjam: Quelle est, dans le même temps, la situation de la sécurité sociale? On entend un peu tout et son contraire à ce sujet...

Luc Frieden: La situation dans le court terme est positive, en raison de la forte croissance de l'emploi au cours des dernières années. Elle sera en revanche négative sur le long terme, puisqu'une forte croissance de l'emploi est nécessaire pour pouvoir continuer à financer les retraites d'ici à 20 ans et que nous n'avons plus cette forte croissance. C'est la raison pour laquelle le gouvernement présentera, dans les six mois à venir, des propositions pour réformer le système de retraites et pour assurer son financement sur le long terme.

Paperjam: Quelles sont les pistes de réflexion les plus avancées?

Luc Frieden: Le ministre de la Sécurité sociale (Mars Di Bartolomeo, ndlr. ) y travaille et en a déjà présenté quelques-unes, notamment concernant la durée de cotisation. Le Luxembourg est l'un des pays de l'Union européenne où la date d'entrée effective en retraite est la moins élevée et je crois que face à la durée de vie plus longue des citoyens, il est indispensable de rééquilibrer cette durée de cotisation.

Paperjam: Etes-vous inquiet dans la perspective de devoir annoncer certaines décisions, lorsque vous voyez ce qui se passe en France, par exemple, avec la très forte tension sociale qui accompagne le recul de l'âge légal de la retraite?

Luc Frieden: Non, cela ne m'inquiète pas. Je crois que même en France, des millions de gens comprennent que le financement des retraites pour des gens qui, aujourd'hui, atteignent - et c'est heureux - l'âge de 80 ou 90 ans, n'est pas pareil que lorsque la durée de vie n'est que de 60 ou 70 ans. On ne gouverne pas en refusant les réformes. Quand on veut préparer l'avenir du pays, on se doit de prendre des mesures qui, dans le court terme, ne sont pas nécessairement comprises par tous, mais qui sont absolument nécessaires dans le long terme. Par ailleurs ceux qui manifestent ne représentent pas forcément la majorité des citoyens.

Paperjam: Vous parlez d'actions à long terme. Mais n'est-il pas compliqué de raisonner en long terme lorsqu'il y a tous les cinq ans des échéances électorales?

Luc Frieden: C'est peut-être le cas pour certains, mais cela n'a jamais été le sens de ma réflexion. Je crois qu'il y a beaucoup d'électeurs qui, eux aussi, se situent dans le long terme. Gouverner un pays ne doit pas se faire à la lumière des échéances électorales. A partir du moment où l'on explique bien aux gens pourquoi on fait certaines choses, une grande majorité d'entre eux comprennent. Nous ne faisons pas les choses pour fâcher qui que ce soit, mais uniquement parce que l'intérêt général sur le long terme le requiert...

Paperjam: Pour revenir au budget en lui-même, vous avez fixé le niveau de certaines recettes fiscales, notamment l'impôt sur les collectivités, la TVA ou encore la taxe d'abonnement, à un niveau plus élevé qu'en 2010. Cela veut-il dire que vous considérez que l'on se trouve déjà dans une phase de sortie de crise?

Luc Frieden: En tous les cas, le Statec table sur une croissance du PIB de 3%. Cela se reflétera donc automatiquement au niveau des recettes fiscales. Oui, je pense en effet que nous sommes sur la bonne voie de la sortie de crise, même si la croissance européenne reste modeste. Mais nous ne sommes pas non plus aveugles et nous avons tenu compte de la très grande fragilité de la situation en décidant, par exemple, de ne pas augmenter l'impôt sur le revenu des collectivités par rapport aux prévisions de 2010, sachant que l'économie en général, et le secteur financier en particulier, sont dans une phase de restructuration.

Paperjam: Le fait que l'économie luxembourgeoise est toujours très dépendante de sa place financière constitue-t-il un danger encore plus grand en ces temps difficiles?

Luc Frieden: On connaît l'importance du secteur financier pour le pays, mais cela ne me dérange pas. Dans un petit pays, il est normal que le secteur des services soit celui qui est le plus développé. Et mon objectif est de contribuer à le développer encore davantage, sans que cela ne soit en contradiction avec les efforts de diversification entrepris par ailleurs par le gouvernement. Mais on sait combien cela est compliqué dans un petit pays.

Paperjam: Quels sont, selon vous, les points qui susciteront le plus de débats devant le Parlement?

Luc Frieden: Posez la question aux députés! Je crois que la difficulté majeure, pour le gouvernement, sera de montrer que toutes les mesures d'assainissement que nous avons annoncées sont nécessaires, malgré la situation plus positive que nous observons avec la hausse de recettes fiscales. Mais encore une fois, dans la durée et face aux déficits persistants, nous ne voyons pas d'autre alternative que de réduire graduellement les déficits budgétaires.

Paperjam: Vous en appelez donc au bon sens de chacun?

Luc Frieden: C'est surtout un appel à toujours garder à l'esprit les notions de moyen et de long terme et ne pas se contenter de regarder ce qui, aujourd'hui, est agréable ou non. Non seulement nous devons toujours considérer les finances publiques dans la durée, mais aussi en tenant compte du contexte économique international qui est d'autant plus important au Luxembourg, compte tenu du caractère ouvert de son économie.

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