Luc Frieden, Discours à l'occasion de la Journée de l'ingénieur

Monsieur le Président de la Chambre des députés,
Madame et Messieurs les Députés,
Monsieur le Président de l’Association des ingénieurs,
Mesdames et Messieurs.

Quel plaisir d’être dans ce bâtiment, qui évoque pour moi tant de souvenirs d’enfance, qui représente pour nous Luxembourgeois la prospérité, l’industrie, les crises, le changement, l’esprit d’ouverture. Tant de choses qui aujourd’hui reviennent à l’esprit quand on regarde le monde autour de nous.

Souvenirs d’enfance pour moi d’abord, puisque souvent dans ce bâtiment je suis venu visiter mon père, qui y travailla pendant de nombreuses années. Souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, souvenirs de ministre aussi, puisque c’est dans ce bâtiment que quand même l’une des entreprises à qui nous devons tant, Arbed, devenue ArcelorMittal, s’est développée ; où nous avons vu tant de changements, tant de fusions, tant de défis, que nous avons, ensemble avec ceux qui y ont travaillé, dont de nombreux ingénieurs, réussi à maîtriser tant bien que mal.

Et donc, je voudrais d’abord aussi, devant un auditoire qui n’est pas l’auditoire que je rencontre régulièrement, puisque, en tant que ministre des Finances on a peut-être moins à faire avec des ingénieurs, mais je crois que le pays doit beaucoup à ceux qui ont non seulement travaillé dans cette entreprise, mais dans toutes les entreprises, et vous en avez cités nombreuses, Monsieur le Président, tout à l’heure, où de nouveaux ingénieurs sont venus rejoindre les entreprises pendant l’année écoulée.

Je crois que le pays doit beaucoup à ceux qui créent, qui inventent, qui recherchent et qui contribuent à la prospérité du pays. Il en faut encore davantage à l’avenir. Pour cela, évidemment, il faut qu’il y ait des entreprises, des entreprises qui créent des emplois, sinon tous ceux qui font des études, que ce soit en droit, en économie, ou des ingénieurs, ou d’autres encore, ne puissent se développer.

Et bien, ce monde, dans lequel tout cela se développe, ce monde est en train de changer de fond en comble. Je crois que nous vivons une époque qui, plus que jamais, voit des changements très profonds.

Vers l’extérieur, pour nous tous évidemment, c’est la globalisation, c’est internet, c’est le Printemps arabe, c’est encore l’élargissement de l’Union européenne, les défis, oui, d’une certaine concurrence de nouveaux marchés émergents, qui ne figuraient pas sur la carte économique et politique du monde. Et bien, dans tout ce monde qui change, le Luxembourg doit trouver sa place.

J’ai l’impression que, tant en Europe qu’au Luxembourg, nous avons parfois l’impression que les succès du passé sont aussi les garants des succès de l’avenir. Or, je considère de plus en plus que tel n’est pas le cas. Et si je reviens à ce beau bâtiment, et ce bâtiment est le reflet d’un succès commun et de beaucoup de personnes, par le passé. Nul ne peut nous garantir que nous aurons d’autres bâtiments que celui à l’avenir, si nous ne faisons pas des efforts considérables.

La même chose vaut pour l’Europe. Oui, l’Europe est un projet de paix, un projet économique, un projet de prospérité extraordinaire, mais qui est face à des défis, dont nous ne mesurons pas encore toute l’ampleur.

Ayant assisté, comme vous venez de le rappeler, à de très nombreuses réunions européennes et aussi nationales au cours des dernières années, mon constat est que 1) nous ne constatons pas suffisamment les changements qui ont lieu autour de nous, et 2) que nous nous limitons trop à examiner le court terme que le long terme. Rarement j’assiste à des réunions où vraiment nous faisons le point de la situation pour préparer le long terme, le long terme qui dépasse la gestion des problèmes courants ou la défense de ce que nous avons construit au cours des dernières années.

Mon premier appel serait de regarder davantage les changements qui ont lieu. Et deuxièmement de regarder davantage vers les défis sur le long terme.

Je commencerai, si vous voulez bien, par l’Europe, puisqu’on ne peut comprendre le Luxembourg et les défis du Luxembourg à l’avenir, que si on regarde cette Europe, dans laquelle nous nous situons, dans laquelle nous nous situons heureusement. Puisque c’est grâce à l’Europe que nous avons pu maintenir, que nous avons pu avoir la paix, maintenir la paix, et c’est aussi grâce à l’Europe que nous avons pu exporter nos produits et nos services, que nous avons pu établir un grand marché intérieur qui a une dimension économique, certes, mais aussi une dimension démocratique, une dimension de valeurs communes, qui s’est élargie depuis la fin de la guerre froide.

Cette Europe a effectivement réussi beaucoup de choses, mais elle est aujourd’hui face à de nouveaux défis que l’on voit notamment avec la monnaie unique. Cette monnaie unique qui, elle aussi, nous a apporté énormément de choses. Et je me rappelle fort bien l’année 2002, donc exactement il y a 10 ans, où nous avons, nous tous, changé nos francs luxembourgeois en euros.

Et parfois je me rappelle ces jours-ci, 10 ans après, les nombreuses conférences que je tenais à l’époque, en tant que ministre chargé de l’introduction de l’euro à Luxembourg, sur les avantages de cette monnaie commune. Et parfois, étant dans ces réunions du Conseil EcoFin, je demande si ce que nous avons dit à l’époque était aujourd’hui encore vrai. Et en rétrospective je crois que beaucoup de choses effectivement que nous avons dit à l’époque se sont réalisées.

Notre pays, dont l’économie est très ouverte, a profité de l’absence de cours de change, de fluctuations de cours de change, que nous connaissions par le passé, les coûts de conversion de monnaie, d’une stabilité financière. On a connu une inflation de moins de 2% sur les 10 dernières années. Et nous avons mieux pu comparer les prix, nous n’avons plus été confrontés à des dévaluations compétitives au sein de l’Europe, avec nos principaux concurrents économiques.

Donc, tout un tas de choses se sont réalisées, mais il faut également réaliser que d’autres choses ne se sont pas déroulées comme cela avait été prévu.

En fait, nous sommes aujourd’hui dans une crise extrêmement grave de l’Europe, et une crise qui se reflète notamment au niveau de la monnaie unique.

En fait, ce qui s’est passé, c’est que nous avons créé une monnaie sans créer un État européen. Nous avons créé une monnaie avec un certain nombre d’États, avec des politiques budgétaires économiques, qui n’ont pas été coordonnées ou harmonisées.

Or, ce problème était connu dès le début. Ce problème était connu dès le début, parce que beaucoup écrivaient à l’époque, qu’une union économique, une union monétaire exigeait aussi une union politique. Elle n’était pas réaliste à l’époque, je crois qu’elle n’est pas réaliste à l’heure actuelle. Mais il aurait au moins fallu que chacun se tienne aux règles qui avaient été établies lors de la création de l’Union économique et monétaire avec le traité de Maastricht.

Or, cela n’a pas été le cas, et le problème s’est aggravé au cours des dernières années à la suite de la crise des crédits hypothécaires aux États-Unis, qui est devenue une crise financière en Europe, qui est devenue une crise de l’économie réelle. Et dans toutes ces crises, les États, dont certains étaient déjà très endettés avant la crise, ont dû intervenir, augmentant par là la crise des finances publiques dans un certain nombre d’États. Et cela nous pose aujourd’hui devant des défis considérables.

Donc, qu’est ce qu’il faut faire à court terme, et qu’est ce qu’il faut faire, là encore, à long terme ?

Je crois qu’à court terme il faut aider les États qui ne réussissent plus eux-mêmes à s’en sortir. Il faut les aider par un devoir de solidarité, mais aussi par un devoir, et c’est souvent oublié, qu’il faut aider ces États, puisque nous dépendons de ces États-là.

Et je crois que l’une des grandes leçons de la crise est que l’interdépendance entre les États est devenue beaucoup plus grande.

Si quelque chose se passe dans un pays, même sur un autre continent, cela a un effet sur nous, exemple : la crise financière. Mais aussi, lorsque quelque chose intervient au sein de la zone euro, évidemment cela a des conséquences sur nous. Qui sont les banques qui ont prêté de l’argent à la Grèce, au Portugal, à l’Irlande ? Mais ce sont des banques qui sont situées dans nos États. Et donc, en aidant la Grèce, en aidant le Portugal, nous aidons aussi nous-mêmes. Et donc, au-delà de l’effort de solidarité nécessaire dans une construction d’ensemble, nous nous aidons aussi nous-mêmes.

Évidemment, cette aide n’est pas une aide sans contrepartie, et donc la contrepartie, la condition est que ces États fassent un certain nombre de réformes pour que, le moment venu, ils puissent revenir sur le marché financier et puissent être à nouveau autonomes dans la gestion de leurs finances.

Mais nous nous faisons énormément de soucis sur un certain nombre de pays qui n’ont pas réussi jusqu’à présent à s’en sortir. Je sors tout juste, alors que j’aurais voulu me préparer plus longuement à la conférence de l’Association des ingénieurs, d’un conference call de 4 heures sur la crise grecque des ministres des Finances de la zone euro.

Nous constatons en effet que la Grèce, qui, malgré un certain nombre d’efforts qui ont été faits, n’a pas réussi jusqu’à présent à remplir l’ensemble des conditions que nous avions fixées. Fixées, non pas pour fâcher le peuple grec, mais pour permettre à la Grèce, avec l’argent qui est mis à sa disposition, de remettre son économie sur les rails, remettre son État, ses finances publiques sur les rails. Et nous constatons aujourd’hui que l’ensemble de ces conditions ne sont pas encore remplies.

Nous avons donc lancé un appel au ministre des Finances de la Grèce, au gouvernement grec, aux partis politiques grecs, pour qu’ils mettent tout en œuvre, dans les heures à venir, pour qu’avant un deuxième programme de soutien à la Grèce, et qui devrait être approuvé par nous d’ici le début du mois de mars, un certain nombre d’actions soient inscrites dans les lois de la Grèce. Cela concerne notamment fixation du niveau des salaires en Grèce, cela concerne une réforme des marchés du travail, cela concerne des objectifs en matière budgétaire. Donc, tout un tas de choses qui sont nécessaires pour réduire substantiellement la dette grecque d’ici 2020. Et dans ce même contexte, les négociations avec les créanciers privés de la Grèce doivent se poursuivre, elles n’ont malheureusement pas encore pu être conclues.

Donc, à court terme notre souci, nos soucis vis-à-vis de la Grèce, sont très grands, parce que nous devons en même temps veiller à ce que tous les autres qui aident, qui aident pour aider la Grèce et pour s’aider soi-même, comme je l’ai dit tout à l’heure, puissent également trouver là une solution qui soit durable pour la Grèce. Si la solution n’est pas durable, cela aurait pour effet d’entraîner vers le bas beaucoup d’autres pays.

Hier j’ai assisté à Berlin à une réunion des 4 seuls pays encore qui ont le triple A, c’est-à-dire l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande et Luxembourg. Et nous avons reconfirmé que nous souhaitons que les autres États fassent des efforts pour que ceux qui ont aujourd’hui des finances publiques plutôt saines, mais avec des grands points d’interrogation, puissent continuer à remplir leur devoir de solidarité, mais sans que cela n’affecte la santé de l’ensemble, et donc la stabilité de l’ensemble de la zone euro.

Donc, cette interdépendance et cette inquiétude que nous avons vis-à-vis de la Grèce, j’espère que ce message a été entendu par tous les partis politiques grecs, parce qu’il faut aussi un engagement politique fort de tous les partis politiques grecs. Quand on est en crise, il faut un sentiment d’union nationale, il faut une action nationale, et les élections grecques qui auront lieu dans deux ou trois mois, évidemment, ne sont pas là pour arranger un certain nombre de choses.

Donc, la Grèce doit faire des efforts énormes, à côté des efforts qui ont déjà été faits, pour que l’ensemble ne s’écroule pas. Nous voulons aider la Grèce, nous voulons que la Grèce redevienne une économie qui fonctionne, la Grèce doit redevenir un État qui fonctionne, mais il y a encore un bon bout de chemin à faire.

Je disais tout à l’heure il faut voir le long terme. Et le long terme pour la zone euro c’est la stabilité, la stabilité des finances publiques. Il faut arrêter de financer par crédit le fonctionnement de l’Europe. Or, trop d’États ont aujourd’hui une dette publique beaucoup trop élevée.

Je ne parle pas du cas des Grecs, qui ont aujourd’hui une dette de 160 % du PIB, mais en moyenne dans la zone euro la dette publique est de 80% du PIB. Au Luxembourg, je vous rappelle, qu’elle est de 18 % par rapport au PIB. Dans le contexte luxembourgeois, et j’y reviendrai tout à l’heure, c’est beaucoup trop élevé, mais c’est beaucoup moins que dans les autres États.

Donc, cet effort de consolidation budgétaire doit se faire, devra continuer à se faire. S’il ne se fait pas, nous mettons en fait en danger l’avenir de notre continent, parce que cela exigera à un certain moment que les impôts en Europe devront être augmentés substantiellement, pour que ces déficits puissent être payés. Or, cela n’est pas une perspective dans un monde qui est global, dans lequel nous sommes en concurrence avec d’autres continents, et donc nous devons veiller à ce que ces déficits puissent être réduits, et être réduits dans un calendrier qui est raisonnable, c'est-à-dire sur les 5 à 10 années à venir.

Nous devons donc revenir en Europe à des finances publiques saines. Et c’est la raison pour laquelle les critères qui ont été établis à l’occasion de la création de l’Union économique et monétaire doivent être respectés, doivent être respectés plus sérieusement que par le passé.

Et c’est la raison pour laquelle nous venons de conclure un certain nombre d’accords au niveau de l’Union européenne, pour renforcer justement ce Pacte de stabilité et de croissance, ce Pacte budgétaire. Était-ce nécessaire ? Oui, c’était nécessaire, puisque par le passé tous n’ont pas respecté les règles, qu’ils ont eux-mêmes acceptées. Et donc, nous avons dû malheureusement introduire même des mécanismes de sanctions pour que chacun s’y mette, pour que chacun respecte ces règles.

Nous ne sommes pas là pour gérer la crise, mais nous sommes là pour préparer l’avenir. Et l’avenir du continent européen ne peut pas être le même que le passé, où nous nous sommes endettés trop. Et donc, nous sommes maintenant dans une situation particulièrement difficile, où nous devons veiller à ce que ce continent ne s’écroule pas.

Si l’Italie, si l’Espagne, si la France ne font pas les réformes qui ont été annoncées, qui sont absolument nécessaires, ces grandes économies verront demain de très grands problèmes dans leurs pays, et les autres s’en suivront. Donc, nous sommes interdépendants. Il ne faut pas se focaliser simplement sur les pays comme la Grèce, le Portugal et l’Irlande, qui sont dans de très grands programmes de réformes. Il faut aussi que les autres économies fassent ces réformes, et je crois ce qui a commencé en Italie sont des mesures qui vont dans le bon sens, et il faut que les autres pays suivent également dans cette direction.

Et ce que je regrette également un peu, c’est que l’Europe soit devenue un continent dans lequel nous faisons peu de réflexions sur un grand projet d’avenir. En fait, quel est ce projet d’avenir pour l’Europe ? Nous l’avions à l’époque. C’était la paix, c’était la prospérité, c’était la démocratie.

Je crois qu’aujourd’hui, tant en Europe comme d’ailleurs au Luxembourg, nous devons nous poser la question, quel modèle social peut encore être financé à l’avenir, et comment pouvons-nous veiller à ce qu’en Europe encore nous puissions produire des produits de qualité à des prix acceptables, et qui puissent nous permettre de continuer à créer des emplois ?

Nous avons un grand marché intérieur – 500 millions d’habitants – mais le monde, c’est 7 milliards. Et donc, nous devons non seulement acheter à l’extérieur, mais aussi produire, créer, inventer – et là je crois que l’Europe a quelque chose à offrir – et donc créer cet espace qui permet aux gens de voir dans cet espace un avenir. Et je crois que l’économie, la création, est quelque chose où nous pouvons le faire. Mais nous ne pouvons pas le faire de la même façon que nous l’avons fait jusqu’à présent.

Et donc, à côté de la nécessaire consolidation des finances publiques, je crois que nous devons développer des politiques de croissance. Et des politiques de croissance, ce n’est pas simplement utiliser des fonds de cohésion et des fonds structurels pour dépenser cet argent dans un certain nombre de pays, qui ont des problèmes structurels, mais nous devons revoir un certain nombre de choses, que nous trouvons comme étant des acquis, et qui, sans nul doute, nous empêchent d’avoir une croissance durable dans l’avenir.

Donc, je souhaiterais qu’on ait des Conseils européens dans lesquels on s’occupe de l’avenir du continent européen. Et ce continent européen a des défis économiques, il a des défis politiques, il a des défis en termes de migration, il a des défis en termes de sécurité. Et je constate que l’État national ne peut pas résoudre l’ensemble de ces défis seul.

Donc, mon plaidoyer est pourvoir un projet d’avenir. Un projet d’avenir qui s’appelle Europe, mais une Europe qui a une place dans le monde. Il s’appelle Europe parce que l’État national touche à ses limites. Dans de nombreux domaines, pour lesquels j’avais une responsabilité, j’ai constaté que notre pays, tout comme les autres pays, ne pouvait pas seul résoudre les problèmes. Et j’en ai cité quelques-uns : sécurité intérieure et extérieure, immigration, énergie – dans tous ces domaines, nous sommes plus forts et nous avons une chance de nous développer davantage, si nous sommes plus européens. Cela exige nécessairement un transfert d’un certain nombre de compétences depuis la sphère nationale vers la sphère européenne.

Or, ce que je constate, c’est que dans un certain nombre de pays il y a certes ce constat, mais face à la peur qu’on a d’un élément supranational, de quelque chose qui est plus distant, les tendances nationales, notamment au cours des élections qui ont lieu dans un certain nombre de pays, se voient renforcées.

Et donc, il faut expliquer, il faut preuve à l’appui démontrer que c’est grâce à plus d’intégration que nous avons plus de chances à avoir ce modèle d’avenir, de prospérité et de stabilité que nous souhaitons avoir avec l’Europe. Ce n’est pas un abandon de souveraineté. Je plaide en fait pour un partage de souveraineté, pour une mise en commun de nos souverainetés dans un certain nombre de domaines clairement délimités.

En fait, oui, il faut une sorte de structure fédérale dans des domaines clairement limités, pour que l’Europe ait à nouveau un rôle à jouer. Cela, je sais, est très difficile à expliquer à un certain nombre d’auditoires, dans un certain nombre de pays, et je dirais même dans notre pays. Mais l’inverse ne nous permet pas de confronter ce qui se passe dans le reste du monde.

Aujourd’hui, nous sommes déjà un ensemble économique et politique qui devient de plus en plus petit face au reste du monde. En 2050 l’Europe représentera moins de 20 % du produit intérieur brut mondial, l’Europe représentera moins de 10 % de la population mondiale, et en même temps plus de 50 % de la population en Europe auront plus de 65 ans. Et donc, ces défis sont énormes. Et si l’Europe veut garder sa place, l’Europe doit se renforcer, doit mettre ses forces, qui sont nombreuses, ensemble, définir un certain nombre d’objectifs, 4-5 objectifs pour lesquels elle se donne des moyens pour les développer davantage.

Il faut pour cela aussi que les structures européennes changent. Nous sommes trop lents et nous sommes trop complexes, et nous n’avons pas de visibilité vers l’extérieur.

Vous avez cité tout à l’heure, Monsieur le Président, que je représente le Luxembourg également au sein des institutions de Bretton Woods. Ce sont donc le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. L’Europe, qui est quand même l’un des grands ensembles économiques du monde, ne parle pas d’une voix dans ces ensembles-là. Mais nous sommes représentés par un certain nombre de représentants qui ne parlent pas tous toujours d’une même voix.

Il faut donc que l’Europe ait aussi une visibilité vers l’extérieur. L’Europe doit parler à travers un président, à travers une institution qui s’exprime de façon crédible et audible au nom de l’Europe.

La fonction du président du Conseil de l’Union européenne n’a malheureusement pas été utilisée à cette fin. Cela n’a rien à voir avec son titulaire, mais ceux qui ont institué sa fonction n’ont pas voulu donner à cette fonction les pouvoirs qui lui permettraient de parler, comme tel est le cas d’un président d’un pays fédéral, comme par exemple les États-Unis d’Amérique.

Il ne suffit donc pas de créer des fonctions, il faut encore remplir ces fonctions de compétences vraiment européennes dans des domaines clairement définis.

La même chose vaut pour le ministre européen des Affaires étrangères, qui n’est pas doté des pouvoirs lui permettant d’agir. Et de ce fait, l’Europe perd en crédibilité dans le monde. Nous l’avons vu dans la crise libyenne : l’Europe n’a pas parlé d’une seule voix, la voix de la Haute représentante pour la Politique étrangère et de sécurité n’a pas été entendue. Et je pourrais vous citer de nombreux exemples à cet égard.

C’est la raison pour laquelle également je ne suis pas pour l’instant en faveur d’un ministre européen des Finances. Il ne suffit pas de créer une fonction, il faut la doter de compétences. Et donc, que si nous réussissons au sein de la zone euro à établir clairement des règles communes, à respecter ces règles communes, à ce moment-là je crois qu’on peut rediscuter de telles fonctions. Mais pour l’instant il faut d’abord se concentrer sur la stabilité de la zone euro. Elle est essentielle pour notre pays, qui exporte 80 % de ses produits, et qui importe presque tout. Donc, il est essentiel d’avoir la stabilité, il faut un projet d’avenir pour l’Europe, et il faut dans de nombreux domaines, réaliser que l’État national ne nous permet plus de nous développer davantage.

Les institutions doivent être réformées fondamentalement, en cédant un certain nombre de pouvoirs, voir en les exerçant de façon plus rapide.

La crise en fait nous a montré que nous sommes trop lents, trop complexes, et que seuls les États qui peuvent agir rapidement, et les ensembles des États qui peuvent réagir rapidement, sont dotés des instruments nécessaires pour pouvoir agir dans un laps de temps, qui est requis par la situation.

Dans tout cet ensemble européen, qui me semble nécessaire, qui a une belle perspective, si nous acceptons des changements, parce que le monde change, cela vaut également a fortiori pour un ensemble comme le Luxembourg.

Le Luxembourg, oui, c’est une entité qui a vu beaucoup de succès. Et je citais tout à l’heure l’exemple de ce bel immeuble, dans lequel nous sommes aujourd’hui invités. Et le Luxembourg réalise encore parfois moins que le reste de l’Europe, que le monde autour de lui change fondamentalement. Cela se reflète au niveau des finances publiques et cela se reflète également au niveau des structures économiques, cela se reflète également dans de nombreuses situations auxquelles nous sommes confrontés.

Et je voudrais en fait que les gens réalisent que, ce qui a fait la force du Luxembourg peut être aussi une force pour l’avenir, si nous nous remémorons ce qui a contribué à ces succès du passé.

Prenons les finances publiques. Puisqu’en tant que ministre des Finances il faut bien parler des finances publiques. Mais ce n’est pas le seul sujet sans nul doute qu’il faut aborder dans ce contexte. Nous connaissons depuis quelques années, malgré le fait, et je le rappelle, que nous sommes l’un des 4 pays qui ont encore le triple A des agences de notation, nous connaissons depuis 2002, au niveau de l’État central, un déficit budgétaire. Oui, ce déficit est moins important que celui des pays avoisinants. Je constate en même temps que les dépenses augmentent plus vite que les recettes. Cela pourrait encore être dans une certaine mesure acceptable, si ce déficit est inférieur aux dépenses d’investissement que fait l’État.

Mais ce qui m’inquiète davantage, c’est que nous sommes dans une situation d’extrême fragilité et de volatilité au niveau des recettes de l’État. Fragilité, puisque de très nombreuses recettes de l’État ne dépendent pas de nos efforts, de notre production, mais dépendent d’un certain nombre de décisions politiques qui ont été prises, et qui se reflètent dans les lois, mais qui peuvent changer du jour au lendemain en raison des éléments externes à l’économie luxembourgeoise.

J’en prends deux, trois exemples.

Le premier, c’est les recettes que nous tirons de la vente du carburant, et des accises sur les ventes de carburants et le tabac. Cela reflète dans le budget de l’État environ un milliard d’euros, qui sont dus au fait que nos prix sont inférieurs à ceux des pays avoisinants. Nous dépendons donc dans ce contexte des prix des pays avoisinants, et de décisions politiques internes aux pays.

Un autre exemple qui aussi reflète la fragilité de nos finances publiques, quand quelque chose se passe à l’étranger, c’est l’établissement du commerce électronique, que nous avons réussi à attirer vers le Luxembourg il y a quelques années, et qui au cours de l’année dernière a généré dans les caisses de l’État environ 500 millions d’euros. Nous savons qu’en 2015 le système de la TVA pour l’achat en ligne va changer, et que de ce fait cette recette, 500 millions d’euros, ce n’est pas rien, va diminuer substantiellement.

Et je prends un troisième exemple pour vous montrer cette fragilité des finances publiques, c’est la taxe d’abonnements, c’est la taxe que paient sur la valeur nette d’inventaire les fonds d’investissement de la place financière du Luxembourg. C’est une recette d’environ 600 millions d’euros.

Donc, vous voyez dans ces 3 exemples – et je pourrais continuer la liste – que, certes c’est le Luxembourg qui, à travers une réflexion, à travers une stratégie politique, à travers une politique fiscale a réussi à recevoir des recettes, mais ces recettes ne sont pas dues à des activités générées au Luxembourg.

Et donc, de ce fait, nous sommes extrêmement fragiles. Et si quelque chose arrive sur les bourses étrangères, notre taxe d’abonnement va diminuer. Si demain les accises au niveau des produits pétroliers sont augmentés, ou sur les produits du tabac sont augmentés, ce différentiel de prix n’existera plus. Et si le commerce électronique va changer, certaines de ces entreprises resteront au Luxembourg, puisque nous sommes en contact permanent avec ces entreprises pour qu’elles se trouvent à l’aise dans notre pays, mais la recette fiscale ne sera plus dans ce pays.

Et donc, cela exige que nous en tenions compte, et que nous essayons de développer un nouveau modèle qui permette aux entreprises luxembourgeoises de créer des emplois et donc aussi des recettes à Luxembourg.

Nous réussissons relativement bien à le faire dans le secteur financier, mais là encore certainement il y aura beaucoup de changement à l’avenir. J’y travaille quotidiennement, en créant de nouvelles structures juridiques, en créant un cadre qui permet aux activités financières internationales de se développer à Luxembourg.

Et donc, nous devons veiller très clairement à ce que ces activités ne puissent pas être délocalisées. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle, en tant que ministre des Finances, je me suis opposé à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières à Luxembourg seul.

Contrairement à ce qu’écrivent certains, je ne suis pas opposé par principe à une telle taxe, discuter de toute sorte de taxation, mais je suis opposé à ce qu’on introduise au Luxembourg une taxe qui aurait un impacte évidemment beaucoup plus important sur le Luxembourg que sur d’autres pays, puisque nous avons une place financière internationale très importante. Une telle taxe ne fait de sens, si on veut éviter la délocalisation, que si elle est introduite en même temps sur les autres grands centres financiers internationaux et européens, en premier lieu desquelles New York, Londres et Hong Kong.

Tel sera et tel restera la position luxembourgeoise dans les négociations d’avenir au niveau européen.

Il faut donc au niveau des finances publiques se réaliser que nous sommes dans un monde tout à fait différent de celui qui existait par le passé. En fait, je suis probablement le premier ministre des Finances de ce pays qui ne doit pas simplement dire aux autres, non, parce que la dépense ne peut pas augmenter à un rythme qui est trop élevé, mais je suis le premier ministre des Finances qui doit expliquer aux gens qu’il faut réduire un certain nombre de dépenses.

Nous n’avons jamais connu, au cours des dernières décennies, cette situation-là.

Mais ce qui m’agace parfois, c’est qu’on a l’impression que c’est simplement du ministre des Finances. Je crois que c’est le travail de tous ceux qui ont la charge de l‘État, et je dirais même de tous ceux qui réfléchissent sur l’avenir de notre pays.

Nous sommes dans une situation, nous avons, et nous pouvons en être fier, établi un système qui est formidable, mais qui en fait, à de nombreux égards, n’a pas d’avenir. Et donc, nous devons remettre fondamentalement en question la situation dans laquelle nous sommes.

Nous devons avoir en fait un plan, là encore, à long terme, comment nous pouvons développer de nouvelles activités économiques à Luxembourg. À côté de celles que nous avons, parce qu’il faut les consolider, il faut les élargir. Et tous ces débats sur la compétitivité – le terme, on ne peut presque plus l’entendre – est en fait le débat pour développer un plan qui nous dirait, comment est-ce que nous pouvons à l’avenir créer des emplois à Luxembourg, dans quels secteurs et avec quels moyens, pour que nous soyons concurrentiels vis-à-vis des autres pays.

Pour moi, la concurrence est quelque chose de très positif. Quand je regarde la place financière et je regarde presque quotidiennement qu’est-ce qui se passe à Singapour, qu’est-ce qui se passe à Hong Kong, qu’est-ce qui se passe à Londres, parce que pour moi, la concurrence est en fait quelque chose de positif qui nous permet de devenir meilleurs. De faire aussi bien que les autres, de faire mieux que les autres.

Et je voudrais que dans les autres secteurs économiques, nous réussissions ensemble à le faire. Non par disant, rien ne doit changer, ce qui est un peu la mentalité dans certains milieux, peut-être dans notre population, peut-être chez nous tous. Mais réalisez que le monde autour de nous change, il change très, très vite et que nous sommes face à une situation extrêmement grave.

Les finances publiques ne sont pas dans un état tel que je voudrais les avoir. Puisque année par année nous devons aller emprunter de l’argent pour financer les dépenses de l’État.

Si les recettes en 2011 seront un peu mieux qu’on s’y était attendu, il n’en reste pas moins qu’il reste un déficit. Et un déficit, on ne peut pas l’avoir sur de nombreuses années. Et donc, je crois que sur tous les grands blocs de dépenses, il faudra faire des changements. Et surtout il faut veiller à ne pas augmenter continuellement les dépenses par des automatismes qui, aussi agréables soient-ils, ne peuvent pas être financés sur le long terme. Et les grands blocs des finances de l’État, ce sont les investissements, ce sont les rémunérations des salariés, ce sont les transferts à la sécurité sociale, ce sont les dépenses de fonctionnement de l’État.

Sur tous ces grands blocs, nous sommes obligés à avoir une croissance extrêmement forte pour financer les dépenses de l’État. Or, cette croissance, au moins pour les 5 années à venir, ne sera pas aussi forte qu’elle a été par le passé. Et donc, cela exige de nous tous d’accepter le changement, développer un plan de l’avenir qui tienne compte de tous ces défis, et non seulement de corriger un certain nombre de problèmes à court terme.

Je ne dis pas que cette vision sur l’avenir n’a jamais été faite. Mais elle n’a pas été faite dans un consensus national et elle ne figure pas à l’ordre du jour, ni des médias, ni des principaux acteurs économiques et politiques. En fait, je plaide pour les 2 années à venir que chacun qui a des responsabilités dans ce pays, mais aussi chaque citoyen, réfléchisse comment nous pouvons établir ce modèle d’avenir. Et que le gouvernement qui sortira des élections de 2014 puisse établir sur base de ces réflexions une vision pour les 10 années à venir, donc une vision de 2024, qui devrait sortir des différents projets électoraux qui sont soumis aux électeurs pour les élections de 2014.

D’ici là nous devons réfléchir sur ces pistes et nous devons d’ores et déjà – et là nous ne pouvons pas attendre 2014 – réduire un certain nombre de dépenses, réfléchir sur notre fiscalité, avec toutes les contraintes internationales que nous avons dans ce contexte. Puisqu’on ne peut pas réduire le déficit en augmentant les impôts considérablement, puisque de ce fait nous deviendrions moins compétitifs vis-à-vis de l’extérieur.

Or, notre économie est tellement ouverte que nous avons besoin de l’apport étranger, nous avons besoin des travailleurs qui viennent de l’extérieur, et nous sommes en concurrence avec d’autres centres économiques.

Et parmi ces forces du Luxembourg, je voudrais également rappeler que nous sommes devenus forts, puisque nous étions ouverts vers l’étranger. Et je voudrais que cette ouverture d’esprit, qui a toujours caractérisé le Luxembourg, reste une clé de succès de l’avenir. Si nous sommes parfois effrayés quand des investisseurs étrangers viennent à Luxembourg – et nous avons vu l’exemple récemment dans le secteur financier – il faut bien se réaliser, et j’en ai fait l’expérience, que rares sont ceux en Europe et dans nos pays voisins qui ont aujourd’hui les moyens pour dépenser du jour au lendemain suffisamment d’argent pour faire des acquisitions importantes.

Et de ce fait, que nous le voulions ou non, nous sommes obligés, si nous voulons avoir un modèle d’avenir, à nous impliquer davantage dans les économies à forte croissance économique.

L’Europe en 2012 ne verra pas de croissance économique. D’autres pays du monde verront certes une croissance économique plus faible, mais au moins elles ont une croissance économique. C’est le cas de l’Asie, c’est le cas des pays du Golfe. Et c’est la raison pour laquelle, comme d’autres membres du gouvernement, notamment le ministre de l’Économie, se rendent régulièrement dans ces régions pour veiller à ce que notre modèle de croissance soit soutenu par le fait que des personnes, des investisseurs de ces parties-là du monde découvrent notre pays et y investissent.

Si nous ne le faisons pas, non seulement aurions-nous vu, il y a quelques mois, un drame économique et social par rapport une grande banque de la place, mais encore ne pourrions-nous pas développer davantage nos activités économiques. Nous avons besoin de grands marchés. Et quand je vais par exemple à Hong Kong, il faut savoir que, pour ne citer que cet exemple, que la plupart des fonds d’investissement étrangers qui sont vendus à Hong Kong, sont des fonds d’investissement luxembourgeois. Donc, notre marché, en fait, est entre temps ailleurs, et je crois que dans beaucoup de secteurs industriels cela est également le cas.

Donc, esprit d’ouverture, nous avons besoin de grands marchés, nous avons besoin d’une économie ouverte et nous avons besoin d’attirer vers le Luxembourg des clients et des investisseurs venant de plus loin.

Est-ce que cela va changer fondamentalement les valeurs qui sont les nôtres ? Je ne pense pas. Puisque les valeurs dans une large mesure sont universelles. Les valeurs humaines sont universelles, et donc, si nous avons à offrir quelque chose, si nous allons travailler avec le reste du monde dans un monde globalisé, je crois que ces valeurs, qui étaient toujours les nôtres, les valeurs de l’humanité, pourront être facilement intégrées avec d’autres cultures, avec lesquelles nous n’étions pas confrontés par le passé.

Il faut donc changer à court terme, réduire les déficits, maintenir une dette faible. Il faut à court terme veiller à ce que les impôts ne doivent pas être considérablement augmentés.

Il faut aussi à court terme modifier un certain nombre de domaines de la Sécurité sociale. En premier lieu desquelles, les retraites. Quand j’ai commencé en politique, on disait souvent qu’il faut modifier le système des retraites pour nos enfants et nos petits enfants. Et bien, je vous dis aujourd’hui, il faut modifier les systèmes des retraites pour nous mêmes. Quand moi je partirai en retraite, vous avez cité tout à l’heure ma date de naissance, mon cher Yves, je partirai en retraite dans une vingtaine d’années, mais c’est déjà dans une vingtaine d’années au plus tard, même avec une croissance économique forte, que le système des retraites que nous avons établi ne peut plus se financer directement. Je crois d’ailleurs que cela se passera plus tôt, surtout si la croissance sera moins forte que celle que nous avons connue au cours des dernières années.

Si la croissance est de 3 % alors dans 20 ans, les recettes, les cotisations ne suffiront plus à payer les retraites. Je crois que cela se passera plus tôt, enfin moi, je ne sais pas exactement comment la croissance sera au cours des 20 prochaines années, mais donc il faut bien se rendre à l’évidence que ces reformes sont nécessaires. Oui, elles sont douloureuses dans le court terme, mais elles sont nécessaires pour le long terme.

Et c’est ce message-là que je voudrais dire aujourd’hui comme dans les semaines à venir, beaucoup de modifications que nous faisons en Europe, Pacte de stabilité et de croissance, mesures d’austérité, stabilité de la zone euro, sont nécessaires pour veiller à ce que dans le long terme, dans le moyen et dans le long terme, notre continent et notre pays ont une chance de se développer. En gérant simplement le présent, et si la gestion du présent signifie refuser tout changement, veiller à ce que chacun garde exactement ce qu’il a, alors nous perdrons ce combat.

Nous devons réaliser que nos salaires sont beaucoup plus élevés que ceux dans les pays avoisinants. Hier, dans cette réunion d’ailleurs à Berlin, on parlait du salaire minimum en Grèce. Et j’ai regardé la liste des salaires minima en Europe. Nous avons au Luxembourg un salaire minimum qui est beaucoup plus élevé que ceux de tous nos pays avoisinants. Si on dit cela, je sais qu’on peut immédiatement reprocher, oui, mais pourquoi est-ce que vous discutez de cela, puisque ces gens-là ont très peu d’argent et il est effectivement difficile de vivre dans un pays avec un coût de vie assez élevé avec les salaires minima comme les autres, que nous avons.

Le problème est que nous sommes dans une situation de concurrence et que nous devons trouver des emplois pour les jeunes non qualifiés. Et c’est dans ce contexte-là que tous ces débats sur les salaires minima en Europe doivent aussi être menés. Est-ce que ces salaires sont nécessaires pour vivre ? Oui. Est-ce que ces salaires permettent de créer des emplois pour les jeunes non qualifiés pour l’avenir ? Est-ce que ces salaires sont appropriés pour attirer vers le Luxembourg de nouvelles industries ? Ce sont là les questions que nous devons nous poser. Et peut-être alors les réponses seront différentes.

Je m’inquiète énormément que nous ne réussissions pas à créer à nouveau de nombreux emplois dans le secteur de l'industrie. Secteur que vous connaissez mieux que moi, de nombreux d'entre vous. Nous devons attirer vers le Luxembourg à nouveau aussi l'industrie, puisque le Luxembourg ne peut pas se développer simplement avec un modèle basé sur les services et les services financiers.

Donc, cette vision pour 2024, je crois que nous devons aussi regarder, quels sont les problèmes, quels sont les défis auxquels sont confrontés les entreprises pour créer des emplois ? Pourquoi, est-ce qu'il est si difficile de créer une entreprise à Luxembourg ? Et quels sont d'autres avantages qu'ont peut-être des pays avoisinants, que nous pourrions copier ?

Les finances publiques sont l'élément clé dans tout cela. Mais elles sont limitées si nous ne parlons que de réductions de dépenses. Et vous avez vu comment cela c'est passé en 2008, évidemment chaque réduction de dépenses a des arguments en faveur et des arguments contraires. Je crois que cela doit s'inscrire dans une démarche beaucoup plus globale. Est-ce que nous voulons des finances publiques saines ? Oui. Et nous devons y travailler à court terme, mais surtout avoir une vision économique, et donc aussi sociale, pour l'avenir de ce pays. Pour cela nous avons besoin d'investisseurs étrangers ; pour cela nous devons accepter des changements substantiels dans un certain nombre de secteurs qui sont confrontés à une concurrence beaucoup plus âpre que tel ne fut le cas par le passé.

Le secteur de l'aviation en est un. Nos entreprises dans le secteur de l'aviation, tant cargo que passagers, sont dans une situation concurrentielle extrêmement difficile, et là encore le niveau des coûts, et ce ne sont pas simplement les coûts salariaux, mais aussi, doivent refléter ce qui se passe à l'étranger. Et donc, là encore je crois que les défis sont énormes pour notre pays.

Il faut aussi que les Luxembourgeois réalisent que nous devons travailler probablement un peu plus, et que nous devons nous efforcer davantage, comme ceux qui étaient là avant nous nous l'ont démontré. Il faudra donc un changement de mentalité qui doit commencer à l'école.

Non, je n'ai pas l'intention de parler des réformes scolaires qui sont en train d'être faites, mais je crois que nous devons veiller à ce que nous ayons au Luxembourg les meilleures écoles possible. Je félicite tous ceux qui sont devenus membre cette année de votre association, et dont nombreux ont étudié dans les meilleures universités à l'étranger. Nous pouvons en être fiers. Mais je voudrais que dès le lycée, nous identifions aussi ceux, qui indépendamment de leur origine sociale, soient parmi les meilleurs élèves, pour que nous les poussions à travers notre système scolaire, voire même à travers des classes spéciales, pour qu'ils réussissent à l'étranger. Parce que nous devons, là encore, veiller à ce que nous ayons, aussi parmi les résidants de notre pays, une élite qui permette de tirer ce pays vers l'avenir.

Il faut faire quelque chose pour ceux qui subissent des échecs scolaires, oui. Il faut faire quelque chose pour ceux qui sortent de l'immigration et qui ont des problèmes linguistiques. Mais il faut faire aussi quelque chose pour ceux qui auront demain la charge de diriger l'économie et la société luxembourgeoise. Il faut travailler, les uns et les autres ensembles. Et ce modèle dans lequel chacun est traité de la même façon ne nous permettra pas de préparer suffisamment l'avenir de ce pays, face aux défis que nous voyons, qui ce présentent à l'horizon.

Il faut aussi probablement sortir de cette atmosphère qui était agréable, où les décisions n'étaient prises que si chacun était d'accord.

Dans un monde qui change et dans lequel les défis sont énormes, je crois qu'il faut avoir le courage de prendre des décisions. Cela vaut dans le contexte économique et social, cela vaut dans d'autres domaines où les dirigeants politiques doivent agir.

Je dirais que, dans le domaine économique et social, la tripartite n'est pas le modèle sur lequel l'avenir peut être construit.

Oui, je suis pour une tripartite en tant qu'organe de consultation et de débat. Il faut que les partenaires sociaux se parlent. Mais si on attend à ce que chacun soit d'accord, face aux défis énormes qui sont les nôtres, alors je vous dis, on attendra encore 5 ans et on n’a pas 5 ans à perdre.

Et donc, je plaide pour une tripartite, qui d'ailleurs ne reflète plus du tout l'économie. Si je vois qu'il y a – si je ne me trompe, et je parle sous le contrôle du président de l'UEL, Michel Wurth – à la tripartite il y a un seul étranger, le représentant du secteur financier, et je vous dis que parmi les partenaires sociaux, il n'y a aucune femme à la table. Est-ce l'économie luxembourgeoise ? Non.

Donc, il faut, à travers cet élément anecdotique, réaliser que cet organe a été mis sur place à un moment de crise. Je trouve donc, qu'il faut continuer le dialogue. Pour que ce ne soit pas mal compris : je suis en faveur d'un dialogue intensif avec les partenaires sociaux, mais je trouve que, face à la crise qui est la nôtre, la crise qui est grave, les défis qui sont énormes, il faut que les responsables politiques, après consultations, donc après les consultations au sein de la tripartite et au sein d'autres organes, et notamment au sein du parlement, prennent des décisions. Des premières décisions ont été prises, il faut continuer sur cette voie, mais il faut développer une vision d'avenir.

La crise pour moi n'est pas quelque chose qui signifie la fin de l'économie ou la fin du modèle luxembourgeois. Mais c'est un élément clé, a turning point, un élément à un moment où nous devons nous redéfinir face à un monde qui change, où il y a de nouvelles économies émergentes qui nous font concurrence, mais dont nous profitons énormément, puisque nous exportons vers ces pays-là.

Face à une récession économique qui, dans un certain nombre de pays, est présente ; face à une Europe qui subit des changements fondamentaux et qui n'a pas de projet d'avenir clairement identifié, il faut que dans notre pays nous réalisions que nous avons atteint énormément de choses, mais que nous ne pouvons pas les garder simplement avec le modèle actuel.

Donc, essayons de renoncer à un peu pour obtenir à moyen terme davantage. Si en fait nous aimons nos enfants – et je crois que chacun qui a des enfants, les aime – nous avons une responsabilité vis-à-vis de ces enfants. Et ce que nous sommes en train de faire ne suffit pas pour leur permettre un avenir dans un pays qui assure la prospérité et la stabilité.

Essayons aussi d'être un peu moins égoïstes et de ne pas regarder simplement combien d'argent nous obtenons chaque année de plus, et si nous pouvons chaque année avoir de nouveaux éléments matériels qui viennent agrémenter notre vie.

Avec un peu moins, nous sommes encore très bien lotis. Avec toujours plus, notre avenir ne sera pas assuré. Je crois que l'avenir du Luxembourg et l'avenir de l'Europe peuvent être formidables, si nous acceptons la voie de la sagesse, qui est en fait de se dire dans un monde qui change, on ne peut pas rester ce qu'on est.

Quels sont les défis ? Et bien, des finances publiques saines, créer les conditions pour créer rapidement davantage d'emplois dans de nombreux secteurs. Pour cela, abandonnons un certain nombre de principes que nous avons établis par le passé, et travers ce nouveau modèle de croissance durable, je crois que nous pourrons à nouveau assurer à long terme un modèle économique et social qui n'est pas si différent que celui que nous avons actuellement, mais qui permettra plus de gens d'avoir un avenir dans ce pays.

À l'un des moments les plus difficiles de l'histoire européenne, Winston Churchill a dit "Le succès n'est jamais définitif, la défaite n'est pas fatale. Ce qui compte maintenant, c'est d'avoir le courage de continuer."

Et bien, je vous invite à avoir avec nous le courage de continuer.

Merci.

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